Les tractations ont été serrées entre députés et sénateurs, qui avaient rendu en première lecture des versions très différentes de la proposition de loi sénatoriale. Avec en toile de fond, le défi de répondre à la colère des maires sans infléchir le cap de la transition écologique.
L'Assemblée nationale avait largement remanié la copie du Sénat, dominé par la droite. Sous l'impulsion notamment du gouvernement, prêt à des gestes envers les élus locaux, mais qui trouvait que les sénateurs avaient ouvert "trop largement" la porte à l'étalement urbain.
Le compromis scellé la semaine dernière, après six heures de bras de fer, a été validé mercredi par l'Assemblée (169 voix contre 29) malgré le mécontentement d'une grande partie de la gauche. Le Sénat a lui donné jeudi son feu vert final (326 voix contre une), valant adoption définitive.
"C'est un texte de compromis qui fait honneur à notre Parlement", pour le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu.
A l'origine du texte, une levée de boucliers face à la mise en œuvre des objectifs de "zéro artificialisation nette" des sols (ZAN) de la loi Climat de 2021.
Ils prévoient de réduire de moitié d'ici à 2031 la consommation d'espaces naturels et agricoles par rapport à la décennie précédente puis, à l'horizon 2050, de ne plus bétonner de sols à moins de "renaturer" des surfaces équivalentes.
"Garantie rurale"
Nul ne conteste la nécessité de freiner l'artificialisation, destructrice de biodiversité et facteur de réchauffement climatique. Mais les modalités du ZAN ont braqué les maires, inquiets d'être privés d'un levier déterminant pour le développement des communes.
Grâce aux mesures adoptées jeudi, "nous redonnons de l'air aux élus locaux", s'est réjoui le sénateur Jean-Baptiste Blanc (LR), co-auteur du texte avec Valérie Létard (centriste). Cette dernière a salué "la souplesse" apportée, "une avancée pour nos territoires vers quelque chose de plus praticable, d'acceptable et de soutenable".
La droite sénatoriale a toutefois promis d'être "vigilante" sur la manière dont le gouvernement traitera par décrets certains sujets retirés de la loi.
L'une des dispositions phares du texte est la création d'une "garantie rurale", un "droit à construire" d'au moins un hectare, attribué aux communes, et mutualisable avec d'autres.
Les députés ont fini par accepter qu'elle ne soit pas réservée aux communes peu denses.
Les débats les plus vifs ont porté sur les "projets d'envergure nationale", comme les infrastructures de transport ou les grands projets industriels. Les élus locaux craignaient, quand ils en accueillent, que la surface utilisée ampute leurs enveloppes de terres artificialisables.
Le Sénat souhaitait donc les exclure du décompte des 125.000 hectares d'artificialisation autorisée jusqu'en 2031 pour le pays.
Mais "aucune dérogation n'aura été accordée", s'est félicité le rapporteur du texte à l'Assemblée, Bastien Marchive (Renaissance). Les hectares consommés par ces grands projets seront ainsi déduits de l'enveloppe globale autorisée par le ZAN. Et le solde sera réparti entre les différentes régions.
"Avancées indéniables"
Les députés ont tout de même fait des concessions. En acceptant de réduire le "forfait" qu'ils avaient prévu pour ces projets nationaux, finalement fixé à 12.500 hectares artificialisables, dont 10.000 pour ceux installés dans les régions hors Paris, Corse et Outre-mer.
Surtout, si ce "forfait" était dépassé, les sénateurs ont obtenu que "le surcroît de consommation" ne serait pas imputé aux régions. Une concession qualifiée d'"abdication" par la députée écologiste Marie Pochon.
Les Insoumis ont reproché, eux, aux députés de la majorité de "s'être couchés" devant les sénateurs.
La proposition de loi instaure par ailleurs une "commission de conciliation" où les régions pourront faire valoir leurs désaccords sur les projets qualifiés "d'ampleur nationale".
L'Association des maires de France (AMF) a salué le texte, même si "les problèmes demeurent très nombreux".
France Urbaine, qui représente les grandes villes, a aussi relevé des "avancées indéniables", mais en critiquant la garantie rurale. Elle sera "contreproductive" selon elle, si trop de communes l'utilisent sans priorité pour celles en tension.