Ces dernières savaient déjà qu'une participation leur serait demandée via des hausses d'impôts sur les plus grosses d'entre elles. Le président du Medef, Patrick Martin, voulait même bien en "discuter", à condition que l'Etat prenne sa part des massives économies à réaliser en parallèle.
Au total, il y a dans le projet de loi de finances à peu près un tiers de hausses d'impôts sur les entreprises et les particuliers, et deux tiers d'économies, selon les calculs du gouvernement.
Ainsi, 400 entreprises ayant un chiffre d'affaires d'au moins un milliard d'euros paieront une "contribution" supplémentaire sur leur impôt sur les sociétés, avec une gradation entre celles réalisant entre un et trois milliards d'euros de chiffre d'affaires, et celles dépassant ces trois milliards.
La mesure doit rapporter 8 milliards d'euros en 2025 et 4 milliards en 2026.
Elle est contestée par le camp macroniste, comme allant à rebours d'une politique ayant abaissé depuis 2017 le taux de l'impôt sur les sociétés (IS) de 33,3% à 25%. Cela aurait notamment favorisé la baisse de deux points du taux de chômage en sept ans.
Ce qui fâche
Seront taxées aussi, pour 500 millions d'euros en 2025 et 300 millions en 2026, les grandes entreprises de transport maritime. Ce serait un moindre mal pour elles, qui bénéficient par ailleurs d'une niche fiscale avantageuse.
Une taxe sur les rachats d'actions frappera aussi les entreprises qui rachètent leurs actions pour les annuler, et distribuer de meilleurs dividendes à leurs actionnaires. Elle sera pérenne, et rapportera 200 millions d'euros l'an prochain. Elle s'appliquera aux opérations réalisées dès jeudi.
Mais ce qui fâche vraiment les patrons est plutôt dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) présenté jeudi également.
D'abord la baisse prévue des allègements de charges sur les bas salaires, qui subiront une première salve en 2025 avant une réforme plus complète en 2026. L'idée est d'empêcher le Smic de "devenir un salaire à vie", selon Bercy, mais tout en lissant les allègements, le gouvernement en supprime au passage pour cinq milliards d'euros.
Dès mercredi dans Les Echos, Patrick Martin, le président du Medef, a redouté des "centaines de milliers" de postes perdus avec une telle mesure.
Toutes les entreprises mises à contribution
Jeudi, tout en soulignant que "la situation des finances publiques est grave", il a jugé auprès de l'AFP que le projet de budget "fait porter trop fortement les économies sur les entreprises avec des mesures structurelles et durables" pénalisant "toutes les entreprises".
Même tonalité du côté de l'U2P (entreprises de proximité) dont le président Michel Picon déplore que les exonérations de charges ne concerneront plus que les salaires d'apprentis jusqu'à 0,5 Smic au lieu de 0,79 actuellement.
Et, pour trouver 1,2 milliard d'euros, l'aide aux entreprises employant des apprentis, dont le nombre a triplé depuis 2018 à près d'un million, pourrait être ratiboisée de 6.000 à 4.500 euros, quels que soient le niveau d'études de l'apprenti et la taille de l'entreprise.
"Ce n'est qu'un scenario parmi d'autres", tempère le ministère du Travail.
"Quand je pense que TotalEnergies et son apprenti ingénieur seraient traités comme le boulanger d'Ajaccio et sa vendeuse !", s'insurge déjà Michel Picon, pour qui on veut "prendre dans la poche des petites entreprises pour ne pas froisser les grosses".
La Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) s'est alarmée aussi cette semaine de la limitation envisagée du coût des arrêts maladie, qui rejaillirait sur les employeurs.
Les patrons savent vers qui se tourner maintenant : "On va faire notre travail au Parlement, dès lundi", assure M. Picon. "La situation économique doit conduire le Parlement à faire les bons choix pour le pays en privilégiant des mesures qui n'altèrent pas la dynamique économique", souligne M. Martin.
L'apprentissage à la diète après des années fastes
Un sérieux coup de frein sur un dispositif fortement encouragé ces dernières années pour soutenir l'emploi des jeunes : le gouvernement a décidé dans son budget 2025 de revoir à la baisse la prime à l'embauche des apprentis, faisant bondir le patronat.
"Il est demandé un effort sur les primes (à l'embauche) de 1,2 milliard d'euros", a indiqué le ministère du Travail, en précisant que la piste d'une aide unique ramenée de 6.000 à 4.500 euros est "un scénario parmi d'autres".
Les pistes d'une "modulation par niveau de qualification" ou "par taille d'entreprise" sont également envisagées, selon la même source, alors que les petites entreprises réclament un traitement différencié.
L'apprentissage a été ces dernières années l'un des principaux moteurs de la baisse du chômage. Accessible aux jeunes de 16 à 29 ans, il repose sur le principe de l'alternance entre enseignement théorique et formation au métier chez un employeur.
Le gouvernement prévoit désormais une stabilisation du nombre d'apprentis, dont le nombre est passé de 317.000 en 2017 à 853.000 en 2023. Le président Emmanuel Macron s'était donné l'objectif d'un million d'apprentis par an.
L'essor de l'apprentissage s'explique à la fois par la réforme de 2018 (qui a notamment libéralisé l'ouverture de centres de formation et élargi le dispositif aux 26-29 ans), ainsi que par les primes à l'embauche.
Ne pas "casser la dynamique"
"Il faut être très prudent" à ne pas "casser la dynamique", a plaidé le patron du Medef Patrick Martin, l'U2P (entreprises de proximité) appelant à ne pas "sacrifier" l'apprentissage "sur l'autel des économies budgétaires".
"Là où il faut aider c'est sur les gamins en situation d'échec. Quand les entreprises dans les territoires le font, s'en prendre à elles est un mauvais choix", a estimé le président de l'U2P Michel Picon.
Gilles Gateau, directeur général de l'Association pour l'emploi des cadres (Apec), a également plaidé dans une tribune pour ne pas casser cet "ascenseur social".
Mise en place pendant la crise sanitaire en juillet 2020, l'aide à l'embauche avait été prolongée à plusieurs reprises et était fixée depuis le 1er janvier 2023 à 6.000 euros pour un mineur comme pour un majeur.
Mais depuis mai 2024, les salariés en contrat de professionnalisation (apprentis hors formation initiale) de moins de 30 ans qui étaient initialement concernés, ne le sont plus.
Autre gisement d'économies, les exonérations de cotisations salariales et patronales dont bénéficient les contrats d'apprentissage ne s'appliqueront plus en 2025 que jusqu'à la moitié du Smic, et non jusqu'à 0,79 Smic comme aujourd'hui, ce qui va augmenter le coût pour les employeurs des apprentis les mieux rémunérés.
"Effets d'aubaine" ?
Pour ces derniers, le salaire net diminuera: ils paieront davantage de cotisations sociales et verront également leur rémunération au-delà d'un demi-Smic assujettie à la CSG et à CRDS.
Le Premier ministre Michel Barnier avait prévenu qu'il entendait regarder "si certaines aides à l'apprentissage ne (pouvaient) pas être reciblées" et qu'il comptait éviter les "effets d'aubaine".
Un récent rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) avait calculé que le coût des aides à l'apprentissage a été multiplié par 3,4 entre 2018 et 2022.
"Sur 14 milliards aujourd'hui de soutien public à l'apprentissage, quatre milliards sont destinés au soutien aux employeurs, 10 milliards au financement de la formation. Il y a des choses qu'on peut faire pour mieux piloter par la qualité", a estimé jeudi la ministre du Travail Astrid Panosyan-Bouvet.
L'économiste Bruno Coquet (OFCE) a chiffré de son côté la dépense nationale pour l'apprentissage en 2023 à 24,9 milliards d'euros, soit 26.000 euros par apprenti en incluant les exonérations sociales et fiscales dont bénéficient ces contrats et les dépenses d'assurance chômage.
En 2022, la Cour des comptes s'était déjà alarmée d'une "impasse financière". Face à une hausse des effectifs surtout portée par les apprentis du supérieur, les Sages notaient qu'à partir de la licence, "la plus-value sur l'insertion professionnelle est faible" même si cela "contribue à démocratiser, professionnaliser et financer l'enseignement supérieur".
Le budget inquiète aussi particuliers ou petits entrepreneurs
Particuliers et petits entrepreneurs seront aussi touchés par certaines mesures du projet de budget du gouvernement présenté jeudi, destiné à dégager un "effort" de 60 milliards d'euros sur les finances publiques.
Ainsi, Daniel, plombier à Strasbourg, voit d'un très mauvais oeil la baisse des aides au recrutement d'apprentis qui s'annonce: celle-ci, entre autres scénarios, pourrait passer de 6.000 euros annuels par apprenti à 4.500 euros.
"Quand on est une petite entreprise, même quand on travaille comme un bourrin, on n'arrive pas à s'en sortir à la fin du mois. On nous prend déjà 46% de nos revenus. Alors si on veut nous enlever ce petit avantage, il y a un vrai problème", tempête cet entrepreneur, dont la société, Eldan Sanitaire, emploie un nouvel apprenti tous les deux ans.
Il devra sans doute payer désormais des charges sociales sur le salaire, supérieur à 0,5 Smic, alors que les salaires inférieurs à 0,79 Smic en sont pour l'instant exonérés.
Ses apprentis, des garçons de 16 à 18 ans "généralement en échec scolaire", "apprennent un métier et sont contents de l'expérience", assure-t-il.
Et leur présence lui a permis d'accepter des chantiers qu'il aurait autrement été incapable de mener seul. "On ne change pas un chauffe-eau tout seul, il faut être deux", observe-t-il.
S'il y a des baisses d'aides, "je ne prendrai plus d'apprenti, c'est aussi simple que ça", envisage-t-il.
Un Smic par mois
Angy (prénom modifié), architecte d'intérieur de 29 ans, loue un petit T2 dans le centre de Nice sur AirBnb. Elle en a hérité et a décidé de le louer à des touristes, car, auto-entrepreneure, elle juge son activité "aléatoire".
"J'ai opté pour la location saisonnière parce que cela rapporte beaucoup plus (que la location classique, NDLR), grâce à la très forte demande pendant les mois d'été", explique Angy, qui retire de sa location en moyenne "un Smic par mois" et gère elle-même réservations, accueil des clients et nettoyage.
"Si la fiscalité est modifiée, tout cela pourrait tomber à l'eau", craint-elle.
Le budget présenté jeudi ne prévoit pas de hausse d'impôts sur les revenus de la location. En revanche, une modification fiscale, censée rapporter 200 millions d'euros par an, devrait augmenter le montant de la plus-value si Angy décide de revendre: les amortissements qu'elle aura éventuellement déduits de ses recettes pendant la location de l'appartement seront désormais pris en compte dans le calcul de la plus-value immobilière de son bien.
Pour justifier cette nouvelle disposition, le texte souligne le risque que l'avantage actuellement accordé ne favorise la location de meublés, en particulier touristiques, au détriment de l'offre de résidences principales classiques.
"Problème de succession"
Dans la famille Thel, à Lille, on possède l'entreprise de vente et réparation d'appareils ménagers du même nom depuis cinq générations. Jean-Jacques, 74 ans, le père, possède 75% des parts de la SARL et son fils Jean-Christophe 25%.
"On a un gros problème de succession", raconte ce septuagénaire à la retraite depuis dix ans, tout en travaillant encore, sans se payer de salaire, pour l'entreprise qu'une faible marge empêche de transmettre à Jean-Christophe.
Une modification du pacte Dutreil, qui exonère de 75% les successions d'entreprises familiales, serait pour eux une catastrophe. Évoquée çà et là car la loi suscite parfois des abus, la réforme ne figure toutefois pas dans le budget présenté jeudi. Le gouvernement ne semble finalement pas favorable à une modification du dispositif, mais tout peut arriver pendant le débat parlementaire.
"Un petit artisan ne devrait pas payer de droits de succession du tout", s'agace M. Thel, qui juge qu'il y a "une incompréhension de ce qu'est l'entreprise".
Pour la FFB, il y a "des pas en avant et des pas en arrière"
La FFB se félicite de trouver confirmé dans le projet de loi de finances pour 2025 le retour à un PTZ neuf sur tout le territoire. Il importe toutefois que l’amendement gouvernemental attendu pour préciser l’extension soit dévoilé au plus tôt, pour donner de la visibilité aux Français, notamment au sujet de la réintégration de la maison individuelle. Bonne nouvelle également, l’orientation claire vers une stabilisation de MaPrimeRénov’ dans son périmètre actuel -qui reste à concrétiser rapidement- malgré une regrettable baisse du budget à 2,5 milliards d’euros. La FFB comprend qu’on s’aligne sur ce qui est réellement consommé aujourd’hui, mais souhaite qu’une somme supplémentaire puisse être réinjectée à l’avenir, dès lors que le marché décolle.
En revanche, quatre décisions gouvernementales restent incompréhensibles.
Tout d’abord, ce projet de budget confirme la suppression du « Pinel » sans alternative, malgré le récent rapport de la Cour des comptes assez favorable au dispositif. La FFB appelle les parlementaires à se saisir de ce sujet, alors que le marché du locatif privé s’effondre et qu’il joue un rôle moteur dans les parcours résidentiels.
Ensuite, la FFB conteste fortement le relèvement brutal, de 5,5% à 20%, du taux de TVA applicable à l’installation d’une chaudière gaz en cas de remplacement du système de chauffage. Par ailleurs, la baisse du FCTVA impactera inévitablement les investissements des collectivités locales et les marchés du BTP dans une période déjà incertaine.
Enfin, la FFB déplore le renchérissement du coût du travail au travers d’une diminution des allègements de charges au niveau du Smic, d’un transfert sur les entreprises d’une partie des indemnités journalières de Sécurité Sociale ainsi qu’une éventuelle diminution d’aide à l’embauche d’apprentis. Autant de mesures qui seront inévitablement destructrices d’emplois à un moment où au contraire, il est nécessaire de favoriser le pouvoir d’achat pour résorber le déficit public du pays.
Pour Olivier Salleron, président de la FFB : « Ce projet de budget pour 2025 montre que le gouvernement a commencé à entendre les demandes de la profession concernant le PTZ et MaPrimeRénov’. La FFB déplore toutefois la perte sèche du Pinel, la baisse de l’enveloppe de MaPrimeRénov’. Les professionnels craignent les effets de la énième modification de la TVA réduite, avec l’exclusion brutale des chaudières gaz, et les mesures sur les charges contre-productives pour l’emploi. La politique du logement et de la rénovation énergétique mérite mieux que ces à-coups. »
Pour l'UNPI, "l'investissement locatif en péril"
Suite à la présentation du projet de loi de finances pour 2025, l'Union Nationale des Propriétaires Immobiliers (UNPI) émet de très vives inquiétudes concernant le traitement fiscal de l'investissement locatif, s'agissant notamment de la location meublée non professionnelle (LMNP). La réintégration des amortissements déduits dans le calcul de plus-value imposable est un très mauvais signal, dans un contexte d'attrition inédite du marché de la location.
Une confusion préjudiciable entre location meublée et location meublée touristique
La réforme fiscale envisagée (de l’article 150 VB du code général des impôts) crée une confusion regrettable entre la location meublée de longue durée et la location touristique. Ces deux types de locations répondent, en effet, à des besoins différents.
Si la location touristique s’est développée en réponse à une forte demande liée à l’essor du tourisme et une évolution sociologique de fond, elle ne doit pas être confondue avec la location meublée traditionnelle, qui joue un rôle essentiel dans l’offre de logements pour les étudiants, les jeunes actifs et les salariés en mobilité.
Un impact délétère sur l’investissement locatif
Il est crucial de maintenir le régime fiscal actuel de la LMNP, qui constitue l’un des rares dispositifs attractifs pour les propriétaires bailleurs. La remise en cause de ce cadre risquerait de déstabiliser une partie significative de l’offre locative.
Toute augmentation de la pression fiscale sur les locations meublées, qu’il s’agisse de l’impôt sur les plus-values ou de l’amortissement comptable, enverrait un signal désastreux aux investisseurs, déjà fortement démobilisés dans le contexte actuel. Ces mesures continueront de freiner l’investissement dans le secteur locatif, alors même que le marché du logement manque déjà cruellement d’offre.
Soutenir l’investissement locatif par la création d’un statut du bailleur privé
L’UNPI appelle à la vigilance. Ainsi, les propositions visant à rapprocher les cadres fiscaux de la location nue et de la location meublée doivent être orientées vers l’encouragement de l’investissement, et non l’inverse. Il est impératif de renforcer les dispositifs qui fonctionnent et d’éviter de pénaliser ceux qui soutiennent l’offre locative.
Aussi, afin de relancer l’investissement locatif, l’UNPI demande la création d’un statut du bailleur privé - utilisant le mécanisme de l’amortissement – et qui reconnaisse la qualité d’entrepreneur d’un propriétaire bailleur. L’objectif est de relancer l’investissement locatif du neuf comme de l’ancien, en substitution des lois de défiscalisation et sous réserve que le patrimoine réponde aux règles de la décence et aux exigences de la performance énergétique.