Ce sont deux petits bunkers, entourés par du bois, près du quartier Rives de Seine de Boulogne-Billancourt (sud-ouest de Paris), à l'ancien emplacement des usines Renault. Impossible de deviner qu'au-dessous du carré vert couvert d'herbe qui les sépare, deux machines de 35 et 97 tonnes fournissent de la chaleur et du froid pour tout le quartier.
Enfouis à 10 mètres sous terre se trouvent 800 m2 remplis de tuyaux, où circulent de l'eau chaude et de l'eau froide qui adaptent leur fonctionnement selon les besoins du quartier: le chaud, par exemple pour les habitations l'hiver, et le froid, pour la climatisation des serveurs de la chaîne beIN Sports, des bureaux ou des prochaines salles de spectacle en cours de construction sur l'île Seguin.
"L'installation des réseaux a été plutôt facile, car le terrain était vierge après le démantèlement des usines", rappelle Gauthier Mougin, premier adjoint (LR) au maire et PDG de la SPL Val-de-Seine Aménagement. "Aujourd'hui, c'est plus difficile, car il faut creuser les rues, notamment l'avenue du Général-Leclerc qui mène vers Paris".
Énergie plus propre et locale
Les travaux pour rajouter les tuyaux dans les réseaux urbains souvent déjà denses ralentissent le développement. Pourtant, la loi de programmation énergétique ambitionne de "multiplier par cinq la quantité de chaleur et de froid livrée par les réseaux de chaleur et de froid, à l'horizon 2030" par rapport à 2012.
La chaleur représente la moitié de la consommation d'énergie en France et provient à 85% d'énergies non renouvelables. A l'inverse, 56% des énergies utilisées par les réseaux de chaleur sont renouvelables.
"Aux rives de Seine, on a recours au réseau de chaleur urbain de Paris, alimenté notamment par les déchets ménagers, et à de la géothermie", souligne Clémentine Jaffre, directrice de l'agence ouest-francilienne d'Idex, troisième opérateur français. Le réseau est alimenté par plus de 50% d'énergies renouvelables, seuil à partir duquel une TVA réduite à 5,5% s'applique.
En 2017, il existait 761 réseaux de chaleur en France, soit 5.300 kilomètres, et 23 réseaux de froid. Seuls 5% des Français y étaient raccordés.
Quintupler ces chiffres semble hors de portée aujourd'hui. "La trajectoire est deux fois plus lente", s'alarme Nicolas Garnier, délégué général d'Amorce, une association qui regroupe collectivités et entreprises, notamment sur les réseaux de chaleur et de froid.
Le changement de rythme doit être impulsé par le groupe de travail "chaleur et froid renouvelables" lancé par Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire, jusqu'au 17 avril. "Pour l'instant, on sent une véritable écoute", juge Guillaume Perrin, chef du service des réseaux de chaleur et de froid à la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies.
"Mais ça ne présage rien sur ce qu'il va en ressortir", nuance-t-il.
Baisser les prix
En plus du retour de la taxe carbone, les regards se tournent en priorité sur le fonds chaleur de l'Ademe, qu'Emmanuel Macron avait promis de doubler pendant sa campagne. De 200 millions d'euros en 2017, le budget va augmenter à 350 millions en 2020 et 2021 mais descendre à 339 millions en 2022.
Dans les grandes villes, le réseau de chaleur souffre de la concurrence avec le gaz. "A terme, le réseau de chaleur sera plus avantageux, d'autant plus qu'il est alimenté localement", détaille Guillaume Perrin.
"Il faut une volonté politique. Le réseau apporte de la stabilité, mais sa rentabilité est longue, jusqu'à 15 ans. C'est un arbitrage court/long terme", explique Laurent Morel, associé Energie au cabinet de consultants PwC, co-rédacteur d'une étude sur le sujet.
C'est un changement de mentalité par rapport à l'histoire du réseau impulsé par l'État, géré par un monopole et alimenté par des énergies fossiles et lointaines. "C'est aux collectivités de se réveiller mais il faut aussi simplifier leurs démarches", poursuit Nicolas Garnier.
Pour gagner en attractivité, les réseaux doivent aussi s'améliorer: "plus on pourra utiliser de la chaleur à basse température, plus on trouvera des sources de chaleur facilement. On peut aussi connecter et relier les réseaux entre eux", avance Thierry Franck de Préaumont, président du syndicat national du chauffage urbain et PDG d'Idex.
"Mais à l'approche des élections municipales, on s'attend à une période creuse", regrette Guillaume Perrin.