"Le commerce électronique va continuer à progresser quel que soit le marché" dans le monde, résumait en juillet Guy Barnard, responsable des investissements immobiliers chez le fonds londonien Janus Henderson, qui gère plus de 300 milliards d'euros.
Selon lui, ce ne sont pas seulement les revenus des commerces physiques qui vont souffrir de cette évolution, symbolisée par l'essor du géant américain Amazon, les 500 millions d'euros de perte du français Carrefour l'an dernier ou la récente liquidation de l'enseigne de jouets Toys'R'Us: il devient aussi moins attirant d'investir dans leurs murs.
"Sur les trois ou quatre dernières années, ça s'est très clairement vu", en particulier dans le monde anglo-saxon, renchérit auprès de l'AFP Mahdi Mokrane, directeur de la recherche chez le fonds immobilier LaSalle.
"En Grande-Bretagne, certaines banques ne veulent pas financer des investisseurs qui achètent du commerce", ajoute-t-il, jugeant la situation moins exacerbée mais semblable en Europe continentale.
En France, selon une étude du cabinet immobilier Knight Frank, les commerces ont réuni en 2017 14% des investissements immobiliers, moins de 4 milliards d'euros au total, alors que la proportion dépassait 30% trois ans plus tôt.
Sans aller jusqu'à se détourner en bloc des commerces physiques, les investisseurs suivent une "polarisation", selon les termes de M. Mokrane. Les sites moyens, souvent situés en périphérie des villes, souffrent de leur désaveu, mais les très grands centres commerciaux gardent de l'attrait, ainsi que les commerces de proximité.
"On nous a dit que les grands magasins sont morts, ce n'est pas vrai", assurait fin août Christophe Cuvillier, président du directoire d'Unibail-Rodamco-Westfield (URW), première foncière basée en France et spécialiste des centres commerciaux, lors de résultats semestriels marqués par une hausse des recettes.
Comme les autres grands propriétaires français de commerces, le groupe écrème depuis des années son portefeuille pour se défaire des sites peu rentables. Chacun aménage sa stratégie: URW mise sur les centres de grandes taille aux animations élaborées, comme en témoigne sa récente acquisition de Westfield, spécialiste anglo-saxon de ce terrain.
Son concurrent Klépierre joue sur des implantations géographiques ciblées à travers l'Europe et le promoteur Altarea Cogedim mise sur les "retail-parks", centres organisés autour d'un espace à ciel ouvert. Une autre tendance émerge: l'aménagement de quartiers entiers, intégrant commerces, bureaux et logements.
Besoins exponentiels en logistique
Les investisseurs restent méfiants: les titres d'URW et de Klépierre sont déprimés depuis trois ans. Celui d'Altarea-Cogedim, dont l'activité est plus diversifiée, s'en sort nettement mieux.
Le commerce électronique, par essence immatériel, n'a-t-il rien à offrir aux investisseurs de la pierre? "On ne pense pas que, derrière, il faut des entrepôts", répond à l'AFP Jean-Claude Le Lan, fondateur et président d'Argan, foncière spécialisée dans la logistique.
"Ces dernières années, l'immobilier logistique est en pleine progression et attire beaucoup d'investisseurs, pour une raison bien simple: l'e-commerce", assure-t-il, le titre d'Argan ayant presque doublé depuis 2015.
En France, les entrepôts drainent de plus en plus d'argent: selon une étude du cabinet JLL, maison-mère de LaSalle, les investissements y sont, à 1,3 milliard d'euros au premier semestre 2018, proches de retrouver un record datant de 2007.
Les contraintes du commerce en ligne accentuent "de manière exponentielle" les besoins en surface logistique, explique M. Mokrane. "Raccourcir de moitié le temps de livraison implique de bien plus que doubler le nombre de mètres carrés de logistique".
De plus, le parc existant "ne répond pas aux besoins du commerce en ligne: ils demandent des bâtiments plus modernes qu'il va falloir construire", note-t-il. Or, par rapport aux logements ou aux bureaux, il n'est pas cher de construire un entrepôt au regard des loyers espérés.
Selon M. Le Lan, c'est ce qui justifie le modèle d'Argan, qui gère tous les maillons de la chaîne depuis la conception des entrepôts. Le groupe, qui a acquis son premier entrepôt en 2000, en détient aujourd'hui une soixantaine.
"Dix-huit ans après, les investisseurs viennent s'intéresser à ce secteur, mais ils ne savent pas développer et achètent de l'existant", conclut-il.