L'ingénieur de 34 ans, fondateur de l'ONG Re:Rise, spécialiste de ces problématiques, connaît les moindres dégâts qui se cachent derrière les bâches de chantier et filets de protection de la capitale, la plus vulnérable de l'Union européenne selon un rapport de la Banque mondiale.
L'usure de l'âge, mais surtout l'effet du meurtrier tremblement de terre du 4 mars 1977, qui a endommagé plusieurs milliers d'édifices.
"Dix pourcents de ceux-ci s'effondreraient en cas de nouveau séisme", provoquant un bilan humain bien plus lourd qu'il y a un demi-siècle, a-t-il calculé en se basant sur des données "incomplètes".
Partout dans le pays, et particulièrement à Bucarest, situé à proximité de la faille sismique de Vrancea, le souvenir de la catastrophe est encore vif. Elle avait causé la mort de plus de 1.500 personnes et 11.000 autres avaient été blessées.
Des habitants réticents
Malgré plusieurs secousses de magnitude supérieure à 7 depuis le 19e siècle, la ville de 1,7 million d'habitants n'est toujours pas préparée au "Big One".
A la mairie, on recense plus de 2.500 édifices jugés dangereux, dont 368 à très haut risque. Ils ont été identifiés depuis les années 1990, mais une trentaine à peine ont été consolidés à ce jour à l'aide d'argent public, précise le responsable du service dédié, Razvan Munteanu.
Le maire Nicusor Dan, élu en 2020, a remis sur le devant de la scène ce problème après des années d'inaction politique.
Et le rythme s'est un peu accéléré: une centaine de bâtiments devraient être prochainement renforcés à l'issue d'un long processus bureaucratique.
"Il faut consulter les habitants, faire les études de faisabilité, identifier les solutions, trouver les entreprises", détaille M. Munteanu, inquiet du manque de fonds à terme.
Comme aux abords d'un grand parc de Bucarest, où un bloc de 100 appartements de la fin des années 1930 arbore le macaron de risque sismique élevé.
Des travaux doivent commencer l'an prochain mais le gardien d'immeuble pointe les réticences des habitants, notamment les plus âgés, à quitter leur chez-eux.
"Ils ne savent pas encore où ils vont être relogés. Leur plus grande peur est de ne jamais pouvoir revenir", explique Ioan Boinegri, 76 ans.
Désinformation de l'ère communiste
La mission est vertigineuse car il s'agit de rattraper des décennies de retard.
Quelques mois après le séisme de 1977, le dictateur Nicolae Ceausescu avait discrètement ordonné l'arrêt des opérations de consolidation, raconte l'ingénieur Matei Sumbasacu, qui a récemment eu accès à la retranscription des échanges.
Face à l'ampleur de la tâche, le régime communiste avait en effet décidé de changer de stratégie pour se livrer à de simples réfections cosmétiques de façade.
Pour rassurer la population, il avait alors diffusé pléthore de fausses informations, dont la plus connue reste "l'enduit antisismique" - une "fake news" d'époque qui reste ancrée dans la société.
Ces "légendes" ont donné à la population traumatisée "une fausse impression de sécurité dans des bâtiments en péril", souligne M. Sumbasacu.
Le désastre qui a frappé le sud-est de la Turquie et le nord de la Syrie en février a réveillé les craintes endormies. Le responsable de l'ONG note "une effervescence, une prise de conscience de la nécessité d'agir".
D'autant que d'importantes secousses ont touché peu après le sud-ouest de la Roumanie, une zone géologique habituellement peu active, suscitant des mouvements de panique.
S'il est impossible de prévoir les séismes, il est primordial de mieux s'en protéger en respectant les normes actuelles de construction, rappellent les experts.
"Bucarest est la capitale européenne la plus exposée, non parce que nos tremblements de terre sont exceptionnels, mais parce que nous n'avons jamais traité le problème sérieusement", déplore Matei Sumbasacu.
"Nous ne sommes pas prêts, c'est aussi simple que ça."