Dans ce contexte de blocage du marché, l’immobilisme des pouvoirs publics et le récent retrait du projet de réforme des critères du HCSF inquiètent. Il ne faudra donc pas s’attendre à de nouvelles mesures de soutien au logement neuf ni à un assouplissement des critères d’octroi de crédit pour relancer la construction. L’enjeu ici n’est pas seulement budgétaire ! En réalité, les arbitrages de l’action publique et monétaire semblent plutôt s’orienter vers la recherche d’une stabilité financière et d’un désendettement des ménages, une régulation qui, pour l’heure, freine leur accès à la propriété. Les indicateurs de la construction neuve et des matériaux confirment l’extrême morosité du marché pour ce premier trimestre. Seuls les travaux publics affichent une activité mieux orientée mais l’optimisme des entreprises semble s’émousser pour les prochains mois.
Chiffres clés
Si l'activité des granulats a regagné +1,4% par rapport au trimestre précédent, celle du BPE a décroché de -6%. (données CVS-VJO)
Un peu moins « mauvais » pour les granulats que le BPE
Après un léger rebond du marché du BPE et des granulats entre janvier et février, l’activité des matériaux a de nouveau reculé en mars. Du côté des granulats, la production affiche un repli de -4,8% au regard de février et de -6,6% sur un an (données CVS-CJO). Cependant, compte tenu des évolutions passées, la tendance du premier trimestre 2024 s’affiche en positif par rapport au quatrième trimestre 2023 (+1,4%) mais demeure négative en glissement annuel (-5,3%). En cumul sur les douze derniers mois, l’activité des granulats est certes toujours en net repli mais sur un rythme qui s’atténue (-6,5% à fin mars contre -8,2% en 2023). La tendance est plutôt inverse s’agissant du BPE où le rythme de recul s’accentue. En mars, les volumes produits ont fléchi de -5,7% par rapport à février et de -14,4% sur un an (données CVS-CJO). Au premier trimestre, les livraisons ont cédé -6% par rapport au trimestre précédent mais affichent une chute de -14,3% au regard des volumes d’il y a un an. Les effets de la crise immobilière et de la contraction des mises en chantier sur les livraisons de béton prêt à l’emploi montent donc en puissance en ce début d’année et la tendance annuelle est encore appelée à se creuser au cours des prochains mois.
Les données provisoires de notre indicateur matériaux suggèrent également une accentuation du repli en mars. Après une année 2023 en baisse de -9,4% (données CJO), l’indicateur perd -13,7% au premier trimestre 2024, les produits principalement destinés au bâtiment enregistrant des reculs plus sévères.
Offre et demande de logements toujours très contraintes
Les données statistiques du marché de la construction et du logement au premier trimestre ne montrent pour le moment aucune franche amélioration. Sur le marché de la maison individuelle, le regain d’activité traditionnellement constaté après l’hiver a bien eu lieu mais il part de niveaux particulièrement bas. Selon Markemétron, même si la demande se ravive un peu, elle reste fortement bridée par la politique restrictive de la Banque Centrale qui limite l’accès au crédit. Au premier trimestre, les ventes reculaient encore de -35,9% sur un an et, compte tenu d’une situation économique encore peu porteuse pour les ménages en 2024, notamment avec la remontée du chômage, le marché des maisons individuelles pourrait encore se contracter de 15 à 20% cette année pour n’atteindre que 50.000 ventes selon Markemétron. Ces inquiétudes sont également partagées par les promoteurs. La FPI (Fédération des Promoteurs Immobiliers) soulignait récemment que, en dépit d’une légère amélioration des conditions de financement et d’un redressement des ventes en bloc (+29,4% sur un an, en raison du programme de rachat de CDC Habitat et Action logement), les ventes totales de logements neufs baissent encore de -15,4% en glissement annuel au premier trimestre 2024. Cela représente 19.135 unités, soit un niveau inférieur de 39% à la moyenne trimestrielle des réservations sur les six dernières années (31.137 unités). Dans le même temps, les mises en vente de logements ordinaires reculent nettement, de -41,2% par rapport au premier trimestre de 2023 à 11.656 logements, ce qui constitue un point bas depuis 10 ans, ce niveau étant inférieur de moitié à la moyenne des sept dernières années (23.335 unités). Les promoteurs pointent ainsi une double crise, à la fois liée à une demande très faible mais aussi à une offre qui se raréfie. Dans ce contexte, tout redémarrage de la demande butera très vite sur une insuffisance de produits et donc une remontée des prix. Au premier trimestre, le freinage des mises en ventes étant plus marqué que celui des ventes, le stock de logements baissait de -4,2% sur un an à 98.095 logements. Parmi eux, seulement 59% étaient « disponibles », à savoir en cours de construction (54%) ou achevés (5%), les 41% restant étant à l’état de projet selon la FPI. Compte tenu des difficultés rencontrées par les ménages pour boucler ou simplement obtenir un financement bancaire, les délais d’écoulement des biens proposés par les promoteurs atteignaient 22,2 mois à fin mars, soit 7 mois et 1⁄2 de plus qu’il y a un an. Selon l’enquête de l’INSEE menée en avril auprès des ménages, les intentions d’achat de logement à 12 mois ne décollent toujours pas. Les inquiétudes économiques et géopolitiques, couplées à une double attente de baisses de prix et de taux conduisent à un attentisme qui fige le marché. Ce marasme plonge la promotion immobilière (et toute la filière) dans une crise majeure, les défaillances ayant grimpé de +71% entre le quatrième trimestre 2023 et le premier trimestre 2024 (selon Altarès). Face à cette crise, les pouvoirs publics semblent privilégier la voie d’une sobriété monétaire, qui passe par le désendettement des ménages, et d’une autorégulation du marché par les prix. Mais, dans les faits, ce choix politique aboutit pour le moment à écarter de l’accession à la propriété les populations les plus fragiles (souvent les jeunes, primo-accédants) tandis que les prix de l’immobilier neuf peinent à baisser en raison d’une offre restreinte et d'un niveau structurellement élevé du coût des projets (accès au foncier, inflation des normes et des prix des matériaux). Pendant ce temps, et en parallèle, le climat des affaires mesuré par l’INSEE continue de s’assombrir du côté de professionnels du bâtiment. Leur opinion sur l’activité passée et l’activité future continue de se dégrader dans le segment du logement neuf, tout comme leur jugement sur les carnets de commandes, les trois indicateurs se situant en dessous de leur moyenne de long terme. Ceci fait écho au repli des mises en chantier qui se poursuit : les logements commencés reculent encore de -4,9% entre le quatrième trimestre 2023 et le premier trimestre 2024 (données CVS-CJO), laissant le glissement sur un an à -20% et le cumul sur douze mois autour de 283.000 unités commencées. Quant aux autorisations, leur baisse ralentit un peu au premier trimestre (-12,8% sur un an) mais atteint -19,8% en cumul glissant sur douze mois avec 358.600 permis.
Travaux publics : l'optimisme se modère
Selon la FNTP, l’activité des travaux publics a progressé en mars par rapport à février et par rapport à mars 2023 (respectivement +1,6% et +1,9% en volume, données CVS-CJO). Cette hausse permet de stabiliser l’activité du premier trimestre à son niveau de l’an passé, et ce, en dépit de la forte hausse des heures chômées (+34,6% sur un an au premier trimestre) pour cause d’intempéries dans de nombreuses régions (pluviométrie et inondations). Sur douze mois glissants, les facturations progressent encore de +4,1% à fin mars tandis que les carnets de commandes, en lien avec les attributions de lots des grands projets, affichent une progression de +28,1% sur la même période. Toutefois, interrogés en avril, les professionnels se montrent un peu moins confiants qu’en janvier sur leur activité future et leurs carnets, notamment concernant la clientèle publique ; une inquiétude qui n’est sans doute pas sans lien avec les perspectives d’une plus grande austérité budgétaire de l’Etat, synonyme de coups de rabots sur les crédits et dotations aux collectivités.
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