Pour Denis Tudoux, Directeur Régional Ouest (Pays de la Loire, Bretagne et Centre) ADEQUATION : « Du fait de leur attractivité croissante, la hausse des prix et l'insuffisance de l'offre deviennent alarmantes dans les zones littorales. C’est le constat de l’étude « Exode urbain, un mythe, des réalités : impacts de la pandémie de COVID-19 sur les mobilités résidentielles »[1] : les soldes migratoires post-Covid (mars 2020-mars 2022) mettent en évidence la forte attractivité résidentielle des littoraux, et en particulier de la façade atlantique : une dynamique qui a touché également les premières voire secondes couronnes rétro-littorales. »
Les impacts sur les marchés immobiliers sont connus :
- des prix élevés, notamment pour les biens proches ou bénéficiant de vues mer ;
- un parc de logements locatifs ordinaires plus réduit, en raison d’une concurrence accrue de la location saisonnière, plus rentable. Cela concerne tant les logements privés (20,3% des résidences principales contre 25,6% à l’échelle nationale) que sociaux (12,1% contre 14,7%)[2]
Pour Denis Tudoux, Directeur Régional Ouest (Pays de la Loire, Bretagne et Centre) ADEQUATION : « Les ménages locaux, en conséquence, peinent à accéder à un bien locatif ou en accession et se voient contraints soit de résider dans des logements qui ne correspondent pas ou peu à leurs besoins, soit de s’éloigner de leur lieu de travail. »
Afflux de seniors, mais aussi d'investisseurs et d'actifs aisés à double résidence
La tension des marchés immobiliers est principalement liée à un déséquilibre offre/demande, mais elle est aggravée par un différentiel de capacités budgétaires entre les ménages endogènes et exogènes. Prêts à acheter des biens immobiliers aux valorisations élevées, ces derniers appartiennent à trois principales catégories :
- des seniors, attirés par la perspective d'une "retraite au soleil", souvent en capacité d’acheter « cash » grâce à un apport issu de la revente d’un ou plusieurs autres biens ;
- des investisseurs pour de la location meublée (saisonnière ou non), dans une optique de pure rentabilité, parfois sur des temps très courts ;
- des cadres supérieurs et professionnels qualifiés, qui combinent télétravail et grande mobilité (une à trois navettes longue distance par semaine et déplacements professionnels). Ils conservent leur résidence principale en Ile-de-France ou dans une métropole et effectuent souvent des achats « coup de cœur ».
Redoutable concurrence de la location meublée
Les avantages financiers de la location meublée par rapport à la location nue jouent largement en faveur de la première.
Un loyer plus élevé, souvent payé à l’avance. À Saint-Malo par exemple, un T3 meublé proche des plages peut se louer, sur un bail longue durée (1 an) entre 1.600 et 1.800€/mois (toutes charges comprises), tandis que le même bien non meublé sera proposé entre 700 et 750 €/mois.
Une rentabilité supérieure, même si la rotation est souvent plus rapide, les périodes de vacance peuvent être extrêmement réduites, notamment sur les villes moyennes où les locataires peuvent être successivement des étudiants (de septembre à mai), des touristes (juin à août), voire des actifs tout au long de l’année (travailleurs détachés ou saisonniers, en mobilité professionnelle…).
Une fiscalité plus avantageuse en LMNP (loueur meublé non professionnel), grâce à un abattement de 50% des revenus locatifs en micro-BIC ou une déduction des frais et des charges en régime réel (contre 30% en location nue).
Les risques liés au changement climatique encore largement sous-estimés
Comme sur l’ensemble du territoire national, les prix des logements sur les zones littorales ont connu une hausse importante en un an.
- Dans le neuf : près de 5.550 €/m² parking compris en 2022, contre un peu moins de 5.300 €/m² en 2021, soit + 5% (analogue à la moyenne nationale)[3]
- Dans l'ancien : plus de 4.500 € en 2022 contre près de 4.100 €/m² en 2021, soit + 11% (+ 15% à l’échelle nationale)[4]
Ces évolutions ne tiennent manifestement pas compte des risques liés au changement climatique. La géographe Eugénie Cazaux de l’UBO (Université de Bretagne occidentale), dans sa thèse soutenue fin 2022, a d'ailleurs mis en évidence la vision court-termiste de certains acquéreurs de biens menacés par des risques liés à l’érosion côtière ou à la submersion. Et même si, depuis le 1er janvier 2023, les annonces immobilières (location ou vente) doivent mentionner ces risques, l’appétence pour ces biens immobiliers ne faiblit pas.
Pourtant, outre la perte de valeur des biens à terme, se pose le problème de leur assurabilité. Sur certains territoires ultra-marins, des compagnies d'assurance commencent à refuser de couvrir certains sinistres, ou alors sous réserve de versement de primes non soutenables.
Un début de réflexion, en attendant des stratégies locales à construire
Les secteurs littoraux sont-ils condamnés à subir leur attractivité et à être pris en tenailles entre exclusion d’une grande partie des ménages locaux et risque d’obsolescence climatique d’une partie de leur parc de logements ?
Pour Denis Tudoux, Directeur Régional Ouest (Pays de la Loire, Bretagne et Centre) ADEQUATION : « Cette question fait écho aux travaux de la mission interministérielle de lutte contre l’attrition des résidences principales dans les zones touristiques (lancée en février 2022). Elle a rendu ses premières propositions au début du printemps : réflexion sur les dispositifs fiscaux liés à la location meublée touristique, obligation de performance énergétique minimale pour les locations de courte durée, qui sont aujourd’hui limitées aux locations en résidence principale. »
Plus récemment, face au manque chronique de logements permanents sur les zones touristiques, le Gouvernement a annoncé le 23 mars dernier une démarche de travail avec certaines collectivités locales, afin d’identifier et de mobiliser de nouveaux outils (sur le modèle de démarche TPSF (Territoires Pilotes de Sobriété Foncière)).
De fait, les collectivités territoriales ont les moyens d'agir.
- Encadrer les locations saisonnières de courte durée : limitation du nombre de logements saisonniers par ménage (avec un principe de compensation au-delà de 2 par exemple), obligation de déclaration et d’autorisation de changement d’usage, augmentation des taxes de séjour.
- Favoriser la production de logements « abordables » au sens large (en location ou en accession), en les réservant en partie aux actifs locaux qui participent à la vie économique du territoire. Cela implique de bâtir une stratégie foncière volontariste mobilisant un large réseau de partenaires (SPL, EPF, OFS…).
- Imaginer des solutions d'hébergements légers ou proto-habitat, facilement montables et démontables, extensibles et modulables et conçus avec des matériaux écologiques (comme le concept HOUMMI : HOUsing, Mobile, Modular, Innovation).
Sans doute serait-il également opportun, comme le préconisent plusieurs instances[5], de faciliter l’accès des collectivités locales au nouveau statut d’AOH (autorité organisatrice de l’habitat), qui leur confère des marges de manœuvre supplémentaires en matière de politique du logement, et dont certains aimeraient voir les prérogatives se renforcer et s'élargir (notamment en terme de sources de financement et de fiscalité).
[1] Publiée mi-février 2023 et financé par le Plan urbanisme construction architecture (Puca)/Popsu et le Réseau rural français
[2] Source : INSEE RGP 2019
[3] Source : observatoire de la promotion ADEQUATION
[4] Source : données DVF retravaillées par ADEQUATION partielles en date du 30/06/2022
[5] Rapport de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale du 12/04 (dans le cadre de la mission d’information sur les moyens de faire baisser les prix du logement en zones tendues, hors Île-de-France), rapport du groupe de travail "Réconcilier la France avec l’acte de bâtir" (dans le cadre du CNR - Conseil national de la refondation - logement).