Peint tout en haut de l'édifice, un genre de vaisseau spatial, mi-satellite, mi-longue vue, plane. Son occupant descend d'une échelle tenue par deux hommes. En arrière-plan, un ciel azur, qu'on a l'impression de voir à travers la façade.
Sous cette optique en trois dimensions, les motifs, dessinés parfois en trompe-l'oeil, semblent s'animer et la tour s'effacer.
"Les artistes ont choisi ce bleu parce qu'ils voulaient briser l'architecture très dure et très sévère de ce quartier de +Plattenbau+", le nom allemand donné à ces immeubles en préfabriqué, "et créer quelque chose de très léger", raconte Philipp Kienast, membre du collectif d'artistes et d'urbanistes Freiraumgalerie.
Elfriede Schulz est enthousiaste. Pour elle qui vit là depuis plus de 40 ans, ce projet spectaculaire, inédit en Allemagne selon ses créateurs, pourrait enfin redorer l'image exécrable de ces tours.
"On me dit toujours: +ah, tu vis dans ces immeubles en Plattenbau !+", déplore l'ancienne enseignante de 79 ans en mimant une expression de dédain.
"C'est pour cela que je me réjouis que ces créations d'images et de couleurs puissent apporter quelque chose à ces bâtiments", confie-t-elle, "quelque chose de bon".
"S'identifier"
Sur les quatre immeubles de onze étages qui servent de toile, deux sont déjà terminés. D'ici l'automne 2019, l'ensemble des façades, soit plus de 8.000 m³, sera peint jusque dans son moindre recoin.
A l'origine de ce projet, la coopérative immobilière HWG s'est demandé "comment créer un ensemble résidentiel avec un certaine originalité, auquel ses habitants puissent s'identifier", quand elle a dû rénover ces bâtiments en 2018, explique son directeur Jürgen Marx.
Car la cohabitation n'est pas aisée dans ce quartier né à la fin des années 70, séparé de la vieille ville par un large périphérique au trafic dense et où les résidents d'origines sociales diverses, allemands et étrangers, restent méfiants les uns envers les autres, énumère-t-il.
Il en allait autrement au temps de la RDA, quand ces appartements proches de la renommée fondation Francke, une institution culturelle et éducative créée au 17e siècle, étaient très convoités.
Ils étaient même réservés en priorité aux citoyens jugés méritants : fonctionnaires du parti unique SED, employés de la Stasi - la police politique de la RDA - ou encore policiers. Ce qui leur avait valu le surnom de "blocs des grands pontes".
Fil rouge
Pour son projet d'un montant de 7 millions d'euros, HWG s'est tournée vers la Freiraumgalerie, qui s'est fait un nom dans la ville en égayant de ses graffitis colorés les habitations d'un quartier délaissé autour des abattoirs de la ville, fermés peu après la Réunification en 1990.
Pour les immeubles en Plattenbau, les artistes ont choisi de raconter "la petite et la grande histoire", montrer les aptitudes comme les limites des êtres humains, un acte d'équilibriste symbolisé par un fil rouge peint qui relie les personnages.
Le message au bout du compte est que "rien ne reste tel quel, tout change", résume Jürgen Marx.
Une autre originalité consiste à avoir impliqué les résidents. "Nous avons invité les gens à prendre certaines postures - quelqu'un qui attrape quelque chose par exemple - et les avons photographiés", explique Philipp Kienast.
Sans faire leur portrait exact, "nous avons peint des personnages dans la même position, si bien que les gens peuvent se reconnaître sur les murs", décrit-il.
"Effacer la peur de l'autre"
Comme partout dans l'ancienne Allemagne de l'est, Halle, située en Saxe-Anhalt, n'échappe pas à la montée en puissance de l'extrême droite, qui vient de réaliser une nouvelle percée lors d'élections dans les régions voisines de Saxe et du Brandebourg.
C'est aussi dans cette ville, patrie du compositeur de musique baroque Haendel, que la mouvance identitaire, partiellement reliée aux islamophobes du mouvement Pegida, a installé son quartier général.
Elle est encerclée par plusieurs quartiers de Plattenbau, dont celui de Neustadt, tristement connu pour être l'un des plus pauvres d'Allemagne, avec une criminalité élevée.
Pour Jürgen Marx, l'essentiel est de rétablir une cohésion sociale, et un préalable consiste à "effacer la peur de l'autre". "Quand on se connaît, alors tout devient plus facile", assure-t-il. L'art sur les façades d'immeubles peut, il l'espère, aider à se connaître.
"Dans les endroits où nous peignons, les gens ont en général peu de contacts sociaux entre eux", abonde l'artiste Philipp Kienast.
Mais "quand ils sortent et regardent nos murs, même si cela ne leur plaît pas, c'est quand même une bonne opportunité pour ces gens de se rapprocher" et de discuter de ces peintures, dit-il. "Ce qu'ils n'auraient jamais fait autrement".