L'audience à la chambre de l'instruction, présidée par le juge Eric Halphen, a duré environ trois heures, en présence de très nombreux avocats.
Dans le cadre de cette information judiciaire ouverte en juin 2017, Lafarge SA est soupçonné d'avoir versé en 2013 et 2014, via sa filiale Lafarge Cement Syria (LCS), près de 13 millions d'euros à des groupes terroristes dont l'EI ainsi qu'à des intermédiaires afin de maintenir l'activité d'une cimenterie en Syrie alors que le pays s'enfonçait dans la guerre.
Le groupe avait investi 680 millions d'euros dans la construction de ce site, achevé en 2010.
Le groupe avait obtenu de la cour d'appel de Paris en novembre 2019 l'annulation sa mise en examen en 2018 pour "complicité de crimes contre l'humanité".
Mais en septembre 2021, la Cour de cassation, plus haute juridiction judiciaire française, avait cassé cette décision de la cour d'appel, ainsi que le maintien de la mise en examen du groupe pour "mise en danger de la vie d'autrui".
Elle avait renvoyé ces deux questions devant la chambre de l'instruction, dans une composition différente.
Dans ses réquisitions dont l'AFP a eu connaissance, le parquet général demandait le maintien de la mise en examen pour "complicité de crimes contre l'humanité" de Lafarge : il estime que l'entreprise "a financé, via des filiales, les activités de l'EI à hauteur de plusieurs millions de dollars, en connaissance précise des agissements".
Le parquet a également requis l'annulation de la mise en examen de Lafarge pour "mise en danger de la vie d'autrui".
A l'issue de l'audience, Me Christophe Ingrain, Rémi Lorrain et Paul Mallet, avocats du groupe Lafarge, n'ont pas souhaité faire de commentaires.
Le groupe Lafarge avait estimé en septembre que la décision en cassation "ne présumait en aucun cas d'une éventuelle culpabilité de Lafarge SA".
"Nous avons pris des mesures immédiates et fermes pour nous assurer que des événements similaires ne puissent plus se reproduire", avait-il assuré, précisant que Lafarge n'exerçait "plus aucune activité en Syrie depuis plus de six ans".
La Cour de cassation avait par ailleurs confirmé la mise en examen du cimentier pour "financement du terrorisme".
Pour Joseph Breham, avocat d'une centaine d'ex-salariés syriens, les avocats de Lafarge "ont nié l'existence de crimes contre l'humanité en Syrie" à la date des faits voire même "le concept de crimes contre l'humanité tel que défini en France depuis 50 ans".
C'est selon lui "une défense sans subtilité", qualifiée également par l'avocat de la Ligue des droits de l'Homme Arié Alimi de "défense Robert Faurisson", en référence à l'universitaire négationniste mort en 2018.
Si la cour suit les réquisitions du parquet général et la volonté des parties civiles, "plus rien ne s'opposera à ce que soit démontré de manière incontestable que le groupe Lafarge a en connaissance de cause financé l'Etat islamique et le Front Al Nosra alors qu'(ils) commettaient les pires exactions", a estimé de son côté Emmanuel Daoud, avocat de la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH).