Rédigée par Vincent Le Rouzic, directeur des études de La Fabrique de la Cité, cette nouvelle note souligne la difficulté de concilier l’objectif de préservation des sols, les besoins de production de logement et les aspirations d’une majorité de Français à vivre en habitat individuel.
Elle propose des pistes de solutions pour répondre à l’objectif de sobriété foncière. Une grande majorité des Français approuverait des mesures de rénovation du parc de logements existants malgré les difficultés qu’un tel projet représente. Par ailleurs les initiatives de densification douce progressent dans certains territoires.
Pour Vincent Le Rouzic : « A rebours de certaines idées reçues, une large majorité de Français plébiscite les "tiny gardens", soit des jardins de moins de 500 m². Pourtant, en 2021, la taille moyenne des terrains pour bâtir de nouvelles maisons individuelles était encore de 947 m². Réduire la taille des jardins dans les nouveaux projets de logements individuels ouvrirait donc des perspectives pour réinventer la maison individuelle à l'heure de la lutte contre l'artificialisation de sols. »
Cette publication est la troisième note issue du chantier ouvert par La Fabrique de la Cité sur l’objectif de Zéro Artificialisation Nette (ZAN).
Ce sujet d’étude se poursuivra en 2023.
L’année 2022 aura-t-elle constitué un tournant historique pour la filière des maisons individuelles françaises ? Probablement oui. La liquidation judiciaire de Geoxia, le constructeur de l’emblématique maison Phénix, constitue certainement l’événement majeur symbolisant le brusque retournement de ce marché. En parallèle, l’objectif zéro artificialisation nette des sols (ZAN) sème la zizanie. Les nouvelles dispositions réglementaires issues de la loi Climat et résilience viennent percuter l’imaginaire du pavillon avec jardin, considéré lui aussi comme surface artificialisée. Dès lors, quel est le champ des possibles pour les maisons individuelles à l’heure de la lutte contre l’artificialisation des sols ?
La maison individuelle, première source de l’artificialisation des sols
La question du devenir de la maison individuelle est probablement l’une des plus controversées pour mettre en oeuvre l’objectif ZAN. Si les politiques du logement font depuis des décennies l’objet d’une continuité, malgré les alternances gouvernementales (Worms, 2016), c’est finalement le choix d’un changement de modèle qu’a acté Emmanuelle Wargon[1] , alors Ministre du logement, en conclusion de la démarche « Habiter la France de demain » en octobre 2021. Elle déclarait que « le modèle, à l’ancienne, d’un pavillon avec jardin dont on peut faire le tour, nous mène à une impasse. » Cette position n’était pas nouvelle chez la ministre, mais la tonalité du discours a eu un important écho médiatique, prenant un tournant polémique à quelques mois de l’élection présidentielle 2022. Concilier les enjeux écologiques, économiques et sociaux constitue un chemin de crête qui peut rapidement devenir un chemin de croix.
Pourtant, loin des caricatures réduisant son discours à « la maison individuelle est un non-sens écologique », Emmanuelle Wargon a d’abord tenté d’esquisser un diagnostic en revenant aux sources originelles du « en même temps », adaptant de façon originale la partition présidentielle dans le domaine de l’habitat : « Le logement a un impact écologique fort pour ses émissions carbones, mais aussi pour la terre qu’il consomme et ses besoins en transport qu’il génère. Et pour autant, les besoins en logements sont importants. Ils ne fléchissent pas, je pense à tous ces Français mal logés, ils ne peuvent pas être une variable d’ajustement. » Concernant le seul problème de l’artificialisation des sols, il est vrai que le logement est la première source d’artificialisation des sols des dernières décennies. Selon une étude du CEREMA, entre 2009 et 2019, l’habitat représente 68 % des nouvelles terres artificialisées (Bocquet, 2020). Dans cet ensemble la maison individuelle prend une part très importante : par exemple, une étude de l’INSEE montre, qu’entre 2005 et 2013, environ 90% des nouvelles terres artificialisées à usage résidentiel prennent la forme d’un logement individuel (Albizzati et al., 2017).
[1] Discours de clôture d’Emmanuelle Wargon, 14 octobre 2021, pour les conclusions de la démarche « Habiter la France de demain: réconcilier les contraires » : https://www.youtube.com/watch?v=ZxTlBHq3Dvo
Pour comprendre ces résultats, il convient de rappeler qu’est comptabilisé dans l’artificialisation l’ensemble de la parcelle sur laquelle une construction est édifiée (y compris le jardin pour une maison individuelle). L’intégration des surfaces de jardins dans la comptabilité réglementaire de l’artificialisation des sols a été retenue par le gouvernement (cf. encadré). Deux principales raisons peuvent justifier cet arbitrage :
- du point de vue des politiques d’aménagement, cette décision constitue un puissant levier de densification : par exemple, la parcelle d’une maison avec un grand jardin peut faire l’objet d’une division permettant de construire de nouveaux logements.
- du point de vue de l’impact environnemental, tout ou partie des trois fonctions des sols[2] retenues dans la loi Climat et résilience à proximité des bâtiments sont généralement affectées par les aménagements humains.
[2] L’article 192 de la loi Climat et résilience retient les fonctions biologiques, hydriques et climatiques, et le potentiel agronomique.
Des Français partagés entre désir de maison individuelle et protection des sols
La Fabrique de la Cité a commandé auprès de l’institut Kantar Public un sondage d’opinion sur la perception de l’artificialisation des sols[3] . Il ressort des résultats que la lutte contre l’artificialisation des sols est un sujet d’importance pour 88% des Français. Une large majorité des Français (59%) considère le sujet comme prioritaire. Toutefois, les Français demeurent attachés à la maison individuelle : d’après le même sondage, 79% préféreraient dans l’idéal vivre dans ce type de logement, une constante depuis plusieurs décennies (autour de 75% à 80%).
Ces résultats montrent l’expression d’aspirations en apparence contradictoires, tant il apparaît difficile de concilier la lutte contre l’artificialisation des sols avec le plébiscite de l’idéal de la maison individuelle. Est-ce à dire qu’une partie des Français aspirerait à concilier maison individuelle et sobriété foncière ? C’est en tout cas cette voie médiane que nous allons à présent chercher à explorer.
[3] L’institut Kantar Public a réalisé en juin 2022, pour La Fabrique de la Cité, une enquête quantitative en ligne élaborée sur la base d’un échantillon global de 1 400 interviews représentatif de la population française. https:// www.lafabriquedelacite.com/wp-content/uploads/2022/10/Etude-complete70CF24_Fabrique-de-la-cite-LesFrancais-et-les-villes-moyennes_0208.pdf
Quelles marges de manœuvre pour concilier maison individuelle et sobriété foncière ?
Miser sur le parc existant et la densification douce ?
D’après le sondage réalisé par Kantar Public, la plupart des Français sont conscients de certaines mesures à prendre pour lutter contre l’artificialisation des sols. Une très large majorité est favorable à ce que la rénovation et l’installation dans des logements anciens soient encouragés (78%).
Par ailleurs, des initiatives cherchent à mettre au goût du jour diverses formes de densification douce des maisons individuelles avec grand jardin. C’est par exemple le cas de l’expérimentation de la démarche BIMBY (« Build in my backyard ») visant à accompagner les propriétaires occupants à construire dans leur jardin un nouveau logement. Cette démarche a été testée avec un relatif succès à Périgueux, sur le territoire de l’agglomération du Creusot-Montceau ou des Schémas de cohérence territoriale (SCoT) des Vosges Centrales et du Grand Nevers.
Vers un plébiscite du tiny garden ?
Considérer que la lutte contre l’artificialisation de sols est importante n’est pas ipso facto contradictoire avec l’idéal de la maison individuelle. Tout dépend de quelle maison il s’agit et notamment de son impact tant qualitatif que quantitatif sur les sols, plaçant le jardin au cœur de la réflexion.
D’après les dernières données disponibles (Gadet, 2022), la taille moyenne des terrains pour bâtir de nouvelles maisons individuelles s’élevait à 947 m² en 2021. Or, selon le sondage Kantar Public, dans l’idéal, il est suffisant pour 37% des Français d’avoir un petit jardin (inférieur à 250 m²), et pour 34% d’entre eux d’avoir un jardin de taille moyenne (250 à 500 m²). Seuls 12% des Français déclarent vouloir un grand jardin (500 à 1.000 m²) et 8% un très grand jardin (supérieur à 1.000 m²). Il y aurait donc un décalage entre les aspirations des Français et les produits classiques proposés par les professionnels de la construction de maisons individuelles.
Sur le plan qualitatif, une revue de littérature réalisée par Flégeau (2020) sur le lien entre formes urbaines et biodiversité révèle les nombreuses lacunes et imprécisions de la littérature scientifique consacrée à ce sujet. En l’état actuel de la littérature scientifique (Flégeau, 2020), il n’est pas possible d’établir un lien systémique entre taille des jardins et biodiversité : d’un côté, des études comme celle de R. Smith et ses co-auteurs (2006) sur l’agglomération de Sheffield, au Royaume-Uni, ont montré que les grands jardins pouvaient accueillir davantage d’arbres d’une hauteur supérieure à deux mètres, des potagers et des sites de compostage ; de l’autre, des études avancent que le critère le plus important est non pas la taille, mais la gestion qui est faite de la parcelle (Flégeau, 2020). Concernant le stockage carbone des jardins familiaux, cela dépend de nombreux paramètres. Toutefois, d’après l’INRAE (2020), la conversion de sols agricoles en jardins familiaux peut se traduire par une augmentation des stocks de carbone, en raison d’apports organiques généralement importants.
Vers un continuum entre logements individuels et collectifs ?
La distinction classique entre habitat individuel et logement collectif peut également être revisitée en la considérant non plus comme une opposition mais comme un continuum. Il existe en effet de nombreuses formes de logements intermédiaires, que cela soit les copropriétés plus ou moins horizontales, les diverses formes d’habitat participatif proposant de « vivre ensemble chacun chez soi », ou encore les petits collectifs proposant de généreux espaces extérieurs privatifs. Ces solutions peuvent contribuer à répondre aux enjeux de lutte contre l’artificialisation des sols acceptables pour les Français.
En effet, le sondage Kantar Public permet d’identifier trois leviers principaux à l’acceptation d’habiter en collectif chez ceux qui préfèrent le logement individuel: (1) ne pas être gêné par le voisinage (32%), (2) avoir accès à un espace extérieur privatif (24%) et (3) faire des économies de chauffage ou d’énergie (19%). Si le dernier levier pourrait progresser dans le contexte de l’actuelle crise énergétique, les deux autres leviers concernent au premier chef la qualité architecturale des logements proposés. Dans cette perspective, les différentes initiatives prises par le gouvernement[4] pour mettre à l’agenda politique la question de la qualité des logements sont cohérentes. Et des exemples existent pour traduire de façon opérationnelle des formes urbaines individuelles compatibles avec les objectifs de protection des sols.
[4] On peut citer le Rapport Lemas sur la qualité des logements sociaux de janvier 2021, le Rapport Girometti-Leclercq de septembre 2021 sur le référentiel sur la qualité du logement, préfigurant le lancement du programme « Engagés pour la qualité du logement de demain » porté conjointement par le ministère de la Culture et le ministre chargé du Logement.
Retrouvez la note complète ici.