Entre 2011 et 2020, la population a progressé de 2 millions d’habitants et la France a dû artificialiser chaque année 23.000 hectares de nouveaux sols pour assurer son développement économique et démographique. Pour chaque nouvel habitant, ce sont 1.129 m² de terrains qui ont été artificialisés, pour construire des logements, des services publics d’enseignement, de soins, de transport, de stockage, ou encore des commerces.
La loi ZAN impose la division par deux de la consommation de sols naturels, agricoles et forestiers en France, d’ici 2030, et vise à cesser l’artificialisation des sols à l’horizon 2050.
L’espace devenant dès aujourd’hui une ressource rare et limitée, cette nouvelle restriction va avoir des incidences sur :
- les territoires, inégaux face à la loi : 20 pôles (bassins d’emploi INSEE, listés ci-après) vont concentrer 25% du nombre total d’hectares manquants en France.
- les ménages, la rareté de l’offre de logement disponible à la location ou la vente entraînant une hausse durable du coût de l’immobilier, et donc une dégradation du pouvoir d’achat des particuliers.
- le développement économique et la transition environnementale du pays : à l’heure de la réindustrialisation verte, l’installation d’usines et de leurs écosystèmes va requérir la mise à disposition d’importantes disponibilités foncières.
Carte de France de la tension foncière
Les territoires les plus en tension
La carte ci-contre représente les territoires dans lesquels la loi ZAN limite le plus les besoins fonciers. 20 bassins d’emploi, soit seulement 7% du territoire concentreraient plus de 25% du nombre d’hectares manquants. Une tension qui concernerait en premier lieu le Grand-Ouest français, le bassin toulousain, et le couloir rhodanien alors que ce sont souvent les territoires les plus dynamiques en termes de croissance démographique ou de progression de l’emploi.
Pour Cevan Torossian, Directeur du département Etudes & Recherche d'Arthur Loyd : « Le législateur a "sifflé la fin de la partie" pour les territoires à de faible densité urbaine, mais aussi pour les pôles fortement attractifs pour les Français, comme le Grand-ouest, les littoraux et le couloir rhodanien. La sobriété foncière va avoir des effets insidieux sur l’aménagement du territoire, en favorisant les initiés, au détriment des nouveaux arrivants : les acteurs déjà présents sur un territoire donné, bénéficiant déjà de sites construits ou artificialisés, dont la valeur va très probablement augmenter. À l’inverse, la marche sera beaucoup plus haute pour les nouveaux arrivants dans un territoire, qui subiront le surcoût lié à la raréfaction du foncier. Ce raisonnement s’applique autant pour la PME/PMI en plein essor, que pour les ménages avec la question du logement. »
Crise du logement : la loi ZAN va faire baisser le pouvoir d'achat des ménages
D’après l’INSEE, le nombre de ménages devrait continuer de croître, passant de près de 30 millions en 2018 à 34 millions en 2050. Une évolution démographique qui entrainera de nouveaux besoins en logements, services et équipements, dans un contexte de rareté foncière.
Pour Cevan Torossian : « L’augmentation des coûts de l’immobilier va représenter une problématique durable pour les Français, alors que le logement est d’ores et déjà le premier poste de dépenses des ménages. Selon les évaluations menées par la Cour des comptes et les professionnels du secteurs, ce sont 370.000 à 449.000 logements qu’il faudrait construire chaque année pour répondre aux besoins des ménages. Or, à peine 250.000 mises en chantier de logements devraient être comptabilisées en 2024. Sans compter les infrastructures et les aménités que l’accroissement de la population peut entraîner, ainsi que la diminution structurelle de la taille moyenne des ménages. »
La loi ZAN va-t-elle freiner la réindustrialisation ?
Avec 12,8 milliards d’euros investis au 1er semestre 2023 dans les filières vertes, les capitaux affluent et les projets se multiplient pour accélérer la transition environnementale du pays : les filières des batteries & véhicules électriques et du solaire se distinguent nettement cette année. Les territoires localisés hors des métropoles, qui seront demain les premiers touchés par les contraintes de sobriété foncière, concentrent aujourd’hui les trois quarts du volume total investi.
La question de la surface nécessaire pour accueillir ces nouvelles industries se pose. D’après le rapport du Préfet Rollon Mouchel Blaisot, 22.000 hectares devraient plus spécifiquement être nécessaires pour permettre la réindustrialisation du pays, tous secteurs confondus.
Pour Pour Cevan Torossian : « Il ne s’agit pas seulement de l‘espace nécessaire à la construction d’une usine telle qu’une gigafactory de batteries. Les usines dépendent de tout un écosystème : logements, établissements scolaires, de santé, commerces, infrastructures de transport, plateformes logistiques… Il faudra privilégier le recyclage urbain au sens large : la reconversion de friches, la transformation d’immeubles obsolètes, etc. En d’autres termes, la reconstruction de la ville sur elle-même. Mais attention : même en augmentant le volume du recyclage urbain, le compte n’y est pas ! Ces pratiques complexes ont par ailleurs pour point commun d’être plus coûteuses et plus longues à mettre en œuvre. Et il ne faut rien attendre du projet de loi "relatif à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement" : en prévoyant de nouvelles mesures d’exception à la règle, il ajoutera de la complexité et va à l’encontre de la logique de simplification. Or, il faudrait réduire la complexité administrative pour faciliter la construction d’usines comme de logements ; et une pause sur le ZAN fait partie des solutions. »
D’après les calculs d’Arthur Loyd, les besoins fonciers théoriques pour les filières vertes en France sont compris entre 846 ha et 2.672 ha par an, en fonction du mode de comptabilisation des parcs photovoltaïques, par nature très consommateurs d’espace. Les filières vertes pourraient représenter entre 7% et 21% de l’enveloppe d’artificialisation des sols que la France s’est fixée au cours de la période 2021-2030.
L’industrie – et a fortiori les filières liées à transition climatique – vont probablement souffrir d’un renforcement de la concurrence d’autres destinations (logement, commerce, bureaux, etc.), aux prix de sortie des opérations immobilières plus attractifs que l’industrie. Au-delà de l’hostilité des habitants que peuvent générer les projets industriels, il existe un réel risque d’éviction de nombreux territoires pour les filières vertes.
Pour Cevan Torossian : « Dit autrement, l’industrie verte et les Energies renouvelables pourraient manquer de terrains d’accueil du fait d’une politique de sobriété foncière trop ambitieuse à l’horizon 2030. L’objectif ZAN n’est finalement qu’un exemple parmi tant d’autres de la surtransposition bien française de directives européennes, l’Hexagone étant le seul pays aussi restrictif dans l’application d’un objectif commun de sobriété foncière à l’échelle de l’Union Européenne. »
« Un nécessaire moratoire sur l'objectif "ZAN" pour prendre en compte l'impact de la loi »
Pour Cevan Torossian, Directeur du département Etudes & Recherche d'Arthur Loyd : « La logique comptable de l’artificialisation et de la renaturation d’espaces artificialisés devrait tenir compte des réalités qui pèsent lourdement sur les territoires. Des études d’impact aurait dû être menées préalablement à l’application d’une politique publique aussi structurante pour ces derniers. Il est urgent de faire une pause pour évaluer les risques liés au manque de foncier pour l’atteinte des objectifs de décarbonation et de souveraineté économique de la France. Un moratoire de 18 à 24 mois sur l’application de l’objectif ZAN visant à prendre en compte les tenants et aboutissant d’une telle politique, enverrait un signal fort aux porteurs de projets des filières vertes industrielles en particulier, en désamorçant l’actuelle sur-anticipation du ZAN, dans son objectif à 2050, vécue dans certains territoires. Ce moratoire s’ajouterait aux délais supplémentaires d’intégration du ZAN dans les documents d’urbanisme, prévus dans la loi de juillet 2023. »