Originaire d'une petite commune voisine, Rose s'est installée ici il y a 67 ans. Ne pas avoir l'eau courante lui avait alors "fait drôle", mais depuis, elle la boit sans se poser de question.
"Elle est bonne, on l'a toujours bue et on fait tout avec", assure-t-elle, sur le seuil de sa bâtisse, où elle vit auprès de sa fille, 70 ans.
Comme les 350 habitants de ce village de la campagne du Cambrésis, où les commerces ont disparu les uns après les autres, elle a chez elle un forage, qui puise l'eau dans une nappe phréatique à plusieurs mètres de profondeur, relié à une cuve.
Sains-lès-Marquion figure parmi les rares communes françaises à ne pas être reliées à un réseau - aucun ministère n'a pu donner de chiffre.
"A la reconstruction après la Première Guerre mondiale, pour des raisons techniques qui m'échappent, ils nous ont fait 20 puits et dit +on verra plus tard+", avance Guy de Saint-Aubert, maire depuis 1995, affirmant que la commune a été "oubliée" par les autorités.
Elu depuis 1977, fils de l'ancien premier édile, il a voulu mettre fin à cette anomalie, pour des questions de développement du village, de conformité avec la règlementation et de santé publique. Même si, dit-il, les analyses de l'eau, effectuées jusqu'à présent, de la mairie et de la crèche sont dans les normes.
"Risque de l'incident"
"Il y a le risque de l'incident, et avant qu'on se rende compte que notre eau n'est pas potable, ça mettrait un certain temps", avance l'élu, 66 ans. "Ca ne nous posait pas de problèmes majeurs, nous autochtones, mais les gens venant de l'extérieur se posaient les bonnes questions", prévient-il, évoquant entre autres les interrogations sur les pesticides et les risques de sécheresse.
Restait l'obstacle financier: l'investissement d'un million d'euros, hors de portée pour un budget communal d'1,8 million d'euros. En 2017, sa commune adhère alors au syndicat intercommunal de distribution de l'eau et à l'assainissement, qui finance les travaux à hauteur de 750.000 euros, le reste étant apporté par l'Agence de l'eau. Les travaux doivent durer dix mois.
"C'est un bel exemple de solidarité intercommunale", souligne Rodrigue Mroz, maire divers gauche de Récourt et vice-président du syndicat, pour qui la situation du maire était de toute façon "intenable".
"Le maire est responsable, de la qualité et de l'approvisionnement, même s'il n'y a pas de réseau. Certes, il pourrait se retourner auprès des particuliers", explique Me Xavier Matharan, avocat spécialisé dans le droit des collectivités locales.
Les particuliers, d'accord pour en parler, semblent satisfaits de cette évolution. Marie-Thérèse, 88 ans, vit en face du cimetière. Elle a toujours acheté de l'eau minérale et considère que le réseau d'eau "c'est l'avenir. Il faut le nouveau système pour pouvoir louer ou vendre".
"On est au XXI siècle, on n'est plus au XVIIIe, il faut y passer. C'est comme ça. On n'est plus dans l'ancien temps. Il faut être raisonnable", renchérissent Alain et Joëlle... qui vont quand même garder leur puits pour leur jardin.
Alain, lui, ne veut pas en entendre parler. Il fait "plus confiance à (son) eau qu'à la leur, pleine d'eau de Javel, infecte."
"Ca coûte moins cher que leur eau. Ca fait 30 ans que j'habite là, 30 ans que je ne paie pas d'eau. Notre eau est potable, fraîche en plus", ajoute-t-il, déterminé à garder son forage. Tant qu'il en aura le choix !