"On est en train d'attaquer nos économies, c'était pas le but", regrette Alain Mathieu, propriétaire d'un studio dans une résidence de tourisme à Puteaux (Hauts-de-Seine), gérée par le groupe Réside Études.
Ce retraité avait contracté un crédit pour l'achat de son bien, convaincu par la perspective d'un investissement "tranquille". Une façon de se constituer "un pécule pour l'avenir", et d'aider financièrement sa fille handicapée. Dans ces locations destinées à un usage touristique, le paiement des loyers est garanti par le groupe exploitant.
En mars, il reçoit un loyer correspondant au premier trimestre d'exploitation de la résidence, ouverte en décembre 2019. Depuis, plus rien.
Réside Études, qui n'a pas donné suite aux sollicitations de l'AFP, a justifié la suspension des loyers par l'incidence de la crise sanitaire et économique, dans un courrier adressé aux copropriétaires. Le groupe y affirme avoir subi une diminution de 45% de ses recettes d'hébergement par rapport à l'année précédente.
Alain Mathieu, qui estime avoir déjà perdu 6.000 euros, a pu négocier avec sa banque un report du remboursement de son prêt jusqu'au deuxième trimestre 2021 mais doit tout de même payer les intérêts, environ 300 euros par mois. Et il n'est pas certain que l'activité de sa résidence, qui dépend largement du tourisme d'affaires, aura repris l'année prochaine.
Avec d'autres investisseurs, Alain Mathieu a entrepris une action collective contre Réside Études. "Les propriétaires deviennent une variable d'ajustement de leurs difficultés financières", s'alarme leur avocat, Jacques Gobert. "Juridiquement, les loyers doivent être payés malgré le Covid" ajoute-t-il.
Après l'échec de négociations avec Réside Études, l'avocat marseillais, qui dit représenter plus de 4000 propriétaires contre plusieurs groupes de résidence de tourisme, s'affirme prêt à lancer une procédure judiciaire contre le groupe.
"Confiance détruite"
Avec une trentaine de copropriétaires d'une résidence Pierre et Vacances de Val Thorens, Laurent (prénom modifié) a aussi lancé une action collective, encore en phase de conciliation. Lui a perçu des loyers, mais amputés des périodes de confinement. Soit plus de 6.000 euros de manque à gagner. "Sans doute plus", soupire-t-il, alors que sa résidence est, pour l'heure, toujours fermée au public.
Pour l'emprunt de ses quatre appartements, achetés pour compléter sa future retraite, il débourse 1.800 euros par mois. Et doit finalement "piocher" dans ses revenus.
En compensation des loyers non versés, les deux groupes ont proposé à leurs bailleurs de recevoir, sur les prochaines années, une partie du chiffre d'affaires supplémentaire de leurs résidences.
Mais Alain, Mathieu et Laurent, qui comme les autres propriétaires n'ont pas accès aux comptes de leurs résidences, ont jugé les offres trop incertaines, et les ont déclinées.
"La confiance est complètement détruite", confie Laurent.
"Les appartements sont devenus indisponibles à leur destination touristique" ce qui a eu pour effet "de suspendre l'objet du bail" et donc le versement du loyer, affirme Dominique Ménigault, directeur de la gestion du patrimoine de Pierre et Vacances, qui rappelle que le chiffre d'affaires du groupe a diminué de 22,4% en 2020.
"C'est une situation totalement extraordinaire", note Pascale Jallet, déléguée générale du Syndicat National des Résidences de Tourisme (SNRT). Elle distingue celle déjà "très difficile" des résidences mer, montagne et campagne qui ont vu leur chiffre d'affaires baisser de 30% en 2020 selon une étude du SNRT, de celle des résidences de ville, qui accusent une perte d'au moins 60%.
"Il faut arriver à trouver une solution équilibrée, qui rétablisse la charge entre les exploitants, les propriétaires et l'État", reprend-t-elle.