"A Paris, c'était vraiment une année extraordinaire", a résumé à l'AFP Alexander Kraft, qui dirige les activités immobilières en France de la maison d'enchères Sotheby's et fait état d'un bon début 2019.
La tendance est semblable chez tous les réseaux d'immobilier de luxe - un marché de niche sans définition précise mais qui s'intéresse généralement aux logements de plus d'un million d'euros - ayant publié leur bilan 2018.
Daniel Féau, Sotheby's et Coldwell Banker annoncent des hausses de plus de 30% du montant global de leurs ventes françaises. Barnes et Emile Garcin signent des progressions respectives de 23% et 15% sur la seule capitale et ses environs, qui représentent l'essentiel de l'immobilier français de luxe en matière de résidences principales.
"Ce qui est remarquable c'est qu'au fur et à mesure de l'année, les budgets des acheteurs sont montés en gamme", a souligné M. Kraft. "Au début c'était plutôt les biens normaux: des appartements familiaux entre un et quatre millions. A partir de la fin du deuxième trimestre, on a vu des acheteurs avec des budgets très importants, supérieurs à 10 millions."
Parmi les transactions emblématiques de cette tranche où il est par essence difficile de définir une tendance vu le peu d'opérations, Sotheby's a vendu un hôtel particulier à 48,5 millions d'euros sur la rive gauche et Daniel Féau un logement à 25 millions dans le XVIe arrondissement.
Si ces mouvements se sont accélérés, le principal moteur remonte à "un vrai retour de la confiance (depuis) l'élection de M. Macron", a jugé M. Kraft.
Tout en évoquant d'autres facteurs comme le statut de valeur refuge de l'immobilier face à la baisse des grandes Bourses l'an dernier, les principaux réseaux sont unanimes à dire que l'élection du président centriste en mai 2017 a établi un climat jugé plus favorable par leur clientèle fortunée, dont beaucoup de clients sont étrangers ou Français expatriés.
Ventes annulées
Selon eux, cela contraste avec l'atmosphère du quinquennat de son prédécesseur, le socialiste François Hollande, quand bien même M. Macron a remplacé l'impôt sur la fortune (ISF) par un impôt sur la fortune immobilière (IFI) a priori peu engageant fiscalement.
Ce contexte, qui s'accompagne de prix encore avantageux à Paris par rapport à des villes comme Londres et New York, a continué à porter ce segment l'an dernier alors que l'ensemble du marché immobilier ralentit la hausse de ses prix et stabilise son nombre de ventes à des niveaux certes élevés.
Un événement a nuancé ce tableau fin 2018 et suscite les interrogations des principaux réseaux: la mobilisation des "gilets jaunes", qui comprend des revendications multiples mais globalement centrées sur l'amélioration du pouvoir d'achat. Les manifestations, au tour explicitement anti-Macron, ont lieu tous les samedis et ont plusieurs fois été le cadre d'affrontements violents à Paris et d'autres villes.
"Cette période gilets jaunes a créé quand même beaucoup de doutes chez certains étrangers", a admis mardi en conférence de presse Thibault de Saint-Vincent, président de Barnes, évoquant "4 ou 5 promesses de ventes annulées" à cause du mouvement.
Ces effets immédiats ne font pas l'objet d'un consensus entre les réseaux. Daniel Féau et Sotheby's, via M. Kraft, relativisent notamment les conséquences sur la dynamique du marché immobilier de luxe ces dernières semaines.
Reste qu'au-delà des effets directs des manifestations sur l'image de Paris, les acteurs du marché s'interrogent aussi sur les conséquences politiques à plus long terme du "grand débat" ouvert par M. Macron pour répondre au mouvement.
"On est en train de rouvrir des débats fiscaux", a prévenu auprès de l'AFP Laurent Demeure, qui dirige en France les opérations de Coldwell Banker, citant, entre autres, la place centrale données par les "gilets jaunes" à un rétablissement de l'ISF.
"Ce sont des discours difficiles à entendre pour les investisseurs: ce qu'ils aiment c'est la lisibilité", a-t-il conclu, jugeant dommageable que ces interrogations émergent au moment où le marché français peut profiter, au détriment de Londres, des inquiétudes sur un Brexit sans accord.