Certes, la RE 2020 impose enfin, pour seulement le résidentiel neuf, une obligation de vérification du fonctionnement correct du système de ventilation aux bouches, déterminant important d'une bonne qualité de l'air des bâtiments. Une approche sanitaire plus globale sera-t-elle reportée dans un label réglementaire, incitatif mais non obligatoire, comme si on ne construisait que pour l'environnement et pas encore pour l'Homme ?
En février 2020, la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, dite loi AGEC, inscrit, dans son article 51, la priorité du réemploi des produits et matériaux lors de travaux de démolition ou réhabilitation significative. À défaut, leur valorisation par les filières de recyclage recommandées doit s'assurer de leur caractère réutilisable, mais les critères d'évaluation ne sont pas précisés. Peut-on espérer que leur impact sanitaire soit considéré ?
La pression est donc forte pour favoriser le réemploi, la réutilisation, le recyclage, le local… Comme toute démarche nouvelle, l'économie circulaire soulève des enjeux économiques, de structuration de la filière, de compétences. Lorsqu'on évoque les questions du recyclage ou du réemploi, les freins le plus souvent cités par les professionnels du bâtiment et maîtres d'ouvrage sont le manque de connaissances des concepts et des modalités de mise en œuvre de ces matériaux ainsi que le problème d'assurabilité et les contraintes réglementaires. Outre ces diverses problématiques, la question sanitaire est rarement évoquée. Leur éventuel impact sur la qualité de l'air des bâtiments où ils seront utilisés n'est même pas abordé et ne fait donc pas l'objet de recommandations dans les labels et certifications des bâtiments.
C'est pour aborder toutes ces questions que le prochain colloque LES DÉFIS BÂTIMENT SANTÉ (24 juin 2021) centré sur « ÉCONOMIE CIRCUL'AIR, LA SANTÉ DANS LA BOUCLE » fera le point sur les actions, les innovations et les réalisations qui intègrent une réflexion sanitaire dans les opérations de recyclage, de réemploi et de réutilisation, dans le secteur des produits et équipements du bâtiment. Les matériaux bas carbone qu'ils soient biosourcés, recyclés, réemployés, réutilisés vont connaître un développement accéléré. Comment garantir qu'ils soient sains pour l'homme ?
Économie circulaire, des matériaux plus sains ?
"Au sein de la RE 2020, réduire l'impact environnemental des bâtiments neufs, en contrôlant leur empreinte carbone dès leur construction, tracer les matériaux qui seront utilisés ou encore améliorer le confort des habitants, en adaptant les logements au nouveau climat, comme les épisodes de forte canicule, sont des façons transversales de porter attention à la santé des usagers" témoigne Corinne Langlois, Architecte et urbaniste en chef de l'État, Sous-directrice de l'architecture, de la qualité de la construction et du cadre de vie Ministère de la Culture.
À la différence des produits de construction ou de décoration, qu'ils contiennent ou non une fraction de matières premières secondaires, les matériaux issus du réemploi ne sont pas soumis à l'étiquetage obligatoire des émissions de polluants volatils (instauré par le décret n° 2011-321 du 23 mars 2011) ainsi qu'à la réglementation relative aux composés cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques de catégories 1 et 2 (arrêtés des 30 avril et 28 mai 2009).
"Lors des opérations de réemploi de matériaux, la santé doit être prise en compte : c'est d'ailleurs une exigence réglementaire de supprimer les produits contenant de l'amiante ou du plomb... Parmi les développements nécessaires et selon la date de mise en œuvre des produits, il faut notamment travailler sur l'évaluation des émissions de biocides, de composés volatils notamment du formaldéhyde" précise Stéphane Le Guirriec, Directeur général d'Agyre, hub d'accélération nationale de l'économie circulaire dans la construction, créé début 2020.
"Dans la loi AGEC, seuls les articles 13 et 14 abordent un aspect sanitaire", souligne Suzanne Déoux, docteur en médecine, initiatrice de l'ingénierie de santé dans le cadre bâti et urbain et des DÉFIS BÂTIMENT SANTÉ. "En effet, afin d'informer les consommateurs, notamment les femmes enceintes, un article est inséré dans le code de la santé publique qui oblige d'apposer un pictogramme ou d'avoir recours à un autre moyen de marquage, d'étiquetage ou d'affichage sur certaines catégories de produits contenant des substances à caractère perturbateur endocrinien. Néanmoins cela ne concerne pas directement les produits issus du réemploi ou du recyclage. Cet aspect est cependant évoqué dans une des actions de la 2ème Stratégie Nationale sur les Perturbateurs Endocriniens (SNPE2) : ne pas recycler et remettre sur le marché des produits contenant des perturbateurs endocriniens et développer des filières d'élimination des déchets contenant des perturbateurs endocriniens".
Certains supposent que les matériaux issus du réemploi sont favorables à la qualité de l'air et considèrent que les émissions de substances volatiles sont faibles car survenues lors de leur première utilisation. Or, Suzanne Déoux attire l'attention sur la nécessité d'une évaluation sanitaire lors du réemploi de certains produits : "Les panneaux à base de bois retenus dans une démarche de réemploi pourront entraîner des niveaux d'émission significatifs en formaldéhyde, d'abord selon le type de colle utilisé (c'est-dire-dire sa capacité à résister à l'hydrolyse), ensuite s'ils sont réemployés sous leur forme brute, et enfin, si le revêtement appliqué ne crée pas d'effet barrière. Des mesures des émissions, comme pour les produits neufs, doivent donc être réalisées et mentionnées dans les FDES des panneaux de bois de réemploi".
Un défi collaboratif déjà engagé
Dans moins d'un an, un cadre réglementaire sera mis en place : la réglementation environnementale 2020 (RE 2020) pour prioriser la réduction de l'empreinte carbone des projets neufs. Ensuite, le décret d'application du diagnostic Produits-Matériaux-Déchets (PMD) prévoit d'estimer la nature et la quantité des éléments réemployables sur les opérations de démolition ou de réhabilitation lourde (plus de 1 000 m²).
La filière s'organise donc concrètement et certains acteurs n'ont pas attendu : "les architectes travaillent depuis longtemps pour limiter les déchets. Il ne faut pas oublier que le meilleur déchet, c'est celui qu'on ne produit pas ! Ils travaillent donc d'abord à transformer l'existant, l'adapter et éviter de le démolir. On retrouve la notion de bâtiment évolutif en fonction des besoins et des étapes de vie" précise Corinne Langlois, "pour construire, ils font souvent appel à des circuits courts. Beaucoup utilisent le chanvre, le bois, la terre, la paille… dans une logique de proximité. Bien sûr, ils peuvent utiliser aussi des matériaux recyclés, mais il ne faut pas oublier : les architectes engagent fortement leur responsabilité professionnelle sur les projets qu'ils conduisent. Ils sont donc très sensibles à la qualité des matériaux qu'ils utilisent. Les contrats d'assurance les encouragent à la prudence, et ce, aussi sur les risques sanitaires".
Pour Nicolas Masson, Directeur général d'Evertree, une société spécialisée en chimie végétale, qui conçoit des résines biosourcées à destination des panneaux de bois, sans formaldéhyde et sans isocyanate, "l'initiative passe par le maître d'ouvrage public ou privé. Il est l'acteur-clé car à l'origine du projet et arbitre des financements. Mais il faut embarquer tous les acteurs ! Et pour cela, il y a deux volets complémentaires : la communication, qui passe par la sensibilisation, et la formation… Et puis, espérons que la prochaine réglementation, à l'horizon 2025, intègre la qualité de l'air intérieur dans les exigences !".