L'économie française peut-elle surmonter le reconfinement ?
L'impact du confinement sera-t-il aussi fort qu'au printemps ?
En avril dernier, mois entièrement passé sous le régime du confinement, l'activité avait chuté de plus de 30% en France.
L'impact devrait être un peu moindre cette fois, les restrictions étant moins importantes, avec un télétravail généralisé autant que possible mais une activité qui se poursuivra, notamment dans les services publics, les usines, les exploitations agricoles et le BTP, a indiqué le président de la République mercredi soir.
En mars-avril, "on était pris au dépourvu: on n'avait pas de masques, on n'était pas organisé, on n'avait pas les ordinateurs portables pour faire du télétravail", juge aussi Selin Ozyurt, économiste chez Euler Hermes.
Cette fois, les entreprises et l'administration sont mieux préparées pour poursuivre une partie de leur activité durant le confinement, avec des protocoles sanitaires définis.
Le secteur de la construction et une partie de l'industrie devraient être moins pénalisés.
"Par contre, pour les secteurs qui sont déjà fragilisés, comme la culture, le tourisme, là ça risque d'être un coup fatal", prévient Mme Ozyurt. Ou encore pour les commerces dits "non essentiels", dont les bars et les restaurants, de nouveau fermés durant ce reconfinement.
Ces entreprises entrent en effet dans ce deuxième confinement comme des "organismes affaiblis", avait aussi prévenu le patron du Medef Geoffroy Roux de Bézieux.
Le ministre des Comptes publics Olivier Dussopt a évalué mercredi matin l'impact d'un reconfinement strict d'un mois entre 2 et 2,5 points de PIB sur l'économie française.
Un confinement est dur "mais si ça permet de raccourcir la période d'incertitude et de vraiment limiter la propagation de la maladie, l'effet final peut être moins important que d'avoir un semi-confinement comme on a maintenant pendant une période de temps extrêmement longue", avance Charlotte de Montpellier, économiste chez ING.
Comment éviter l'effondrement de l'économie ?
Avec le couvre-feu, le gouvernement avait déjà renforcé un certain nombre de dispositifs d'aide aux entreprises. Emmanuel Macron a assuré que les entreprises touchées par ce reconfinement seraient aidées.
Le détail des mesures sera précisé ultérieurement par le gouvernement mais il a évoqué le chômage partiel pour ceux qui ne peuvent pas travailler, une prise en charge jusqu'à 10.000 euros des pertes des entreprises fermées ou encore un plan spécial pour les indépendants, les commerçants et les TPE.
La prise en charge du chômage partiel à 85% par l'État (et l'Unedic) sera prolongée au delà du 1er novembre lorsqu'une entreprise n'a d'autre choix que de mettre tout ou partie de ses salariés en chômage partiel, a aussi déjà annoncé mardi soir la ministre du Travail Elisabeth Borne.
Et Bercy travaille sur une aide fiscale pour inciter les bailleurs à réduire les loyers demandés aux entreprises, sans doute via un crédit d'impôt.
Cela n'empêchera sans doute pas les faillites d'entreprises les plus en difficulté, prédit toutefois Charlotte de Montpellier car "on ne peut pas éternellement soutenir les problèmes de solvabilité des entreprises".
Quel sera le coût pour l'État ?
Selon Olivier Dussopt, un mois de confinement représente "10 milliards d'euros de dépenses d'intervention". Il faut notamment financer le paiement des salaires via le chômage partiel ou abonder le fonds de solidarité pour les entreprises, créé en mars.
Le gouvernement avait vu large en budgétant ces dispositifs pour la première vague. Il avait provisionné 31 milliards d'euros en 2020 pour le chômage partiel, dont environ 22 milliards ont été dépensés. De même, 9 milliards d'euros avaient été prévus pour le fonds de solidarité et il en reste environ 2 milliards disponibles.
"Si de nouvelles mesures sanitaires devaient être prises dans les jours qui viennent, nous vous proposerons (...) d'augmenter les crédits des dispositifs de soutien à notre économie", avait indiqué lundi aux députés le ministre de l'Économie Bruno Le Maire lors de l'examen du projet de Budget pour 2021.
Au total, depuis le début de la crise, l'État a mobilisé près de 470 milliards d'euros, dont environ 60 milliards de dépenses effectives, le reste étant des mesures de garanties. Des dépenses qui vont creuser le déficit public cette année, attendu à 10,2% du PIB, mais qui pourrait encore augmenter si de nouveaux crédits devaient être débloqués.
Castex précise le reconfinement, le masque imposé dès le primaire
Télétravail massif, masque obligatoire dès 6 ans à l'école : au lendemain de l'annonce d'un nouveau confinement d'un mois au moins, Jean Castex a détaillé jeudi à l'Assemblée nationale la mesure radicale décidée par le président Emmanuel Macron pour contrer une deuxième vague de Covid-19 "sans doute plus meurtrière" que la première.
"Nous avions anticipé la deuxième vague", a assuré devant les députés le Premier ministre, qui prévoit un pic d'hospitalisation en novembre "plus élevé qu'en avril", lors de son intervention à l'Assemblée nationale, à l'issue de laquelle il a immédiatement quitté l'hémicycle en raison de l'attaque au couteau à Nice qui a fait trois morts.
La fin des débats, réclamée par les oppositions, a été refusée par le président de l'Assemblée, Richard Ferrand. "Précisément parce que des terroristes attaquent notre démocratie, c'est l'honneur de l'Assemblée nationale de continuer à faire vivre notre République", s'est-il justifié, après avoir fait observer une minute de silence.
Plus tôt dans la matinée, le ministre de la Santé, Olivier Véran, avait estimé à "un million" le nombre de Français actuellement porteurs du nouveau coronavirus. Et selon le président du conseil scientifique, Jean-François Delfraissy, les hôpitaux vont faire face à une situation "extrêmement difficile" dans les deux à trois semaines qui viennent, le temps que le confinement fasse ses effets.
Devant les députés, Jean Castex a prévenu: "Le virus accélère, nous devons accélérer aussi", en rappelant qu'"aujourd'hui, 60% des lits de réanimation sont occupés par des patients Covid, soit deux fois plus qu'il y a 15 jours".
"Je n'ai cessé d'appeler à la vigilance", s'est encore défendu le Premier ministre, en estimant que "certains qui nous disent aujourd'hui que nous aurions dû agir, et plus fort, ou que nous n'en faisions pas assez, prétendaient à l'époque que nous en faisions trop". "Aucun pays n'avait prévu (que la vague) s'accélérerait de manière aussi soudaine et brutale", a-t-il également fait valoir.
Télétravail massif
Le nouveau confinement annoncé mercredi par Emmanuel Macron doit entrer en vigueur vendredi à 0H00 et durera jusqu'au 1er décembre, "a minima".
Trois changements majeurs ont été mis en place par rapport au confinement du printemps: les écoles, collèges et lycées resteront ouverts, le travail pourra continuer, les Ehpad et les maisons de retraite pourront être visités.
Première conséquence: le port du masque à l'école sera étendu aux enfants de primaire dès l'âge de 6 ans, alors qu'il était réservé jusqu'alors aux seuls élèves du collège, a annoncé jeudi le Premier ministre.
Pour les travailleurs, "le recours au télétravail doit être le plus massif possible" pendant le confinement, a exhorté Jean Castex, en précisant que "dans le secteur privé, toutes les fonctions qui peuvent être télétravaillées doivent l'être cinq jours sur cinq".
Mais pour le numéro un du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, la fermeture des commerces non-essentiels est "une erreur" qui risque d'entraîner beaucoup de faillites et de pertes d'emplois, et couter "entre 50 et 75 milliards d'euros de PIB".
Dans son allocution, Emmanuel Macron avait indiqué que le dispositif de fermeture des commerces serait réévalué tous les quinze jours, selon l'évolution de l'épidémie.
Les entreprises de l'événementiel, du cinéma et du spectacle vivant seront en outre fermées le temps du confinement, a précisé Jean Castex, selon qui suspendre ces activités "est très douloureux mais nécessaire pour assurer l'effectivité" des mesures anti-Covid.
"Nous autorisons le travail préparatoire aux spectacles, les répétitions, les enregistrements et les tournages afin de préparer les activités de demain", a-t-il toutefois précisé.
Le prix Goncourt, qui devait être décerné le 10 novembre, ne sera remis que si les librairies sont ouvertes à ce moment-là, a annoncé jeudi le jury.
Les compétitions sportives professionnelles pourront également continuer pendant cette nouvelle période de confinement, avait précisé mercredi la ministre des Sports.
"Colère" et "responsabilité"
Après ce discours de moins d'une demi-heure, la cheffe de file des socialistes, Valérie Rabault, a adressé un "oui de colère" au reconfinement: un "oui de responsabilité" pour protéger les Français, mais une "colère" contre "l'impréparation" du gouvernement, a-t-elle fustigé. "Tout le monde peut constater que vous êtes pris de court", a complété Jean-Luc Mélenchon (LFI). "Un homme décide de tout, tout seul, entouré de ce conseil de défense hors-sol", a-t-il lancé à propos d'Emmanuel Macron.
Le patron de La République en marche, Stanislas Guerini, leur a sèchement répondu: "Quand nous débattons, vous criez ; quand nous ne débattons pas, vous pleurez: régulez vos émotions, ça nous fera du bien".
Le patron des députés LR, Damien Abad, a pour sa part indiqué que son groupe ne prendrait pas part au vote, "afin de ne pas ajouter des divisions au pays", en déplorant par ailleurs que "nous [n'ayons] plus d'autre choix que celui du reconfinement".
Le chef du gouvernement doit encore se rendre devant le Sénat dans l'après-midi, puis tenir une conférence de presse à 18H30.
Si le reconfinement est prévu sur tout le territoire national, des adaptations sont toutefois prévues pour les outre-mer, qui doivent encore être précisées par la gouvernement.
"Quoi que nous fassions, près de 9.000 patients seront en réanimation à la mi-novembre, soit la quasi-totalité des capacités françaises", a prévenu M. Macron, alors que les capacités de réanimation seront portées à 10.000 lits, soit un doublement du nombre initial.
Réaction des professionnels du BTP aux nouvelles mesures de confinement
CAPEB : Les entreprises artisanales du bâtiment plus que jamais mobilisées pour le maintien de l'activité
Les mesures de confinement annoncées hier soir par le Président de la République marquent un coup dur pour l'économie française bien que nécessaire pour la lutte contre le COVID-19. Toutefois, l'activité dans le BTP est maintenue, toujours dans le strict respect des protocoles sanitaires. Dans ce contexte, la Confédération de l'Artisanat et des Petites Entreprises du Bâtiment (CAPEB) se met en ordre de bataille pour aider les entreprises et les artisans du bâtiment dans l'application de ces consignes et veillera à la bonne mise en œuvre des mesures de soutien déployées par le Gouvernement.
« Le Président de la République concilie la santé de nos concitoyens et la santé de nos entreprises. Oui, ce confinement est nécessaire si nous souhaitons endiguer la pandémie. Mais l'activité du BTP peut et doit continuer ! Nos entreprises sont entièrement mobilisées en ce sens. Comme pendant la première vague, le secteur démontrera à nouveau que ses petites entreprises sont responsables, agiles, promptes à maintenir l'activité. Nous ne pouvons envisager davantage de perte de chiffre d'affaires, alors que les particuliers manifestent déjà des craintes à faire venir les artisans chez eux et que l'activité de certains chantiers est à l'arrêt pour cause de cas contact au sein des entreprises. La sécurité sanitaire reste bien évidemment le mot d'ordre sur les chantiers, conformément au protocole inscrit dans le guide de l'OPPBTP. »
Jean-Christophe Repon, Président de la CAPEB
« Si nous sommes satisfaits que le BTP puisse continuer à travailler, nous demandons néanmoins que nos entreprises, qui subiraient une perte de chiffres d'affaire (du fait d'en refus des clients d'intervenir ou en cas de fermeture de l'entreprise du fait de cas COVID), puissent bénéficier du chômage partiel et nos chefs d'entreprises, des aides du fonds de solidarité. Nous demandons également un décalage des charges et un allongement des délais pour les marchés publics et des délais de dépôt des dossiers de qualification. Il en va de la survie de nos entreprises et de l'économie française. »
Jean-Christophe Repon, Président de la CAPEB