Comment devenir Première ministre ? "Je ne suis pas sûre qu'il y ait un mode d'emploi", s'amuse Mme Borne, interrogée sur sa plongée dans le grand bain depuis son fief de Vire, dans le Calvados.
A ses côtés, Edouard Philippe réfute qu'il y ait quelconque conseil à prodiguer, et souffle: "Je suis heureux que ce soit elle qui s'y colle parce qu'elle est solide".
Un mois après sa nomination, Mme Borne doit suivre un apprentissage en accéléré, dans des conditions délicates, entre un contexte international et économique assombri par la guerre en Ukraine, des élections législatives serrées et sa propre candidature en Normandie.
Certes, contrairement à ses prédécesseurs Jean Castex et Edouard Philippe, Mme Borne arrive enseignée par cinq ans d'expérience ministérielle, des Transports au Travail en passant par l'Ecologie.
Polytechnicienne, passée par plusieurs cabinets dont Matignon sous Lionel Jospin, et des grandes entreprises (SNCF, RATP...), préfète de région, Mme Borne est précédée d'une réputation "d'exigence" et "d'efficacité". "Elle n'est pas ingénieure par hasard, donc il faut que ça marche", résume son amie, l'ancienne ministre des Armées Florence Parly.
Mais ce savoir technique se double-t-il d'une capacité à gérer l'ego des quelques fauves politiques de son équipe ?
"Elle a de la poigne", confirme un ministre. Avant d'ajouter: "Elle est d'autant plus respectée que tous les poids lourds sont plutôt bien servis au gouvernement. Donc personne n'a intérêt à ce qu'elle saute."
Inspirée par Lionel Jospin, qui avait institué un rendez-vous similaire tous les jeudis matins en pleine cohabitation, Mme Borne a aussi apporté une touche personnelle en instaurant une réunion mensuelle de tout son gouvernement à Matignon afin, dit-elle à l'AFP, d'entretenir "des moments d'échange politique sur les grands choix".
Pour l'heure, contrainte par la période de réserve médiatique liée aux élections législatives, Mme Borne n'a guère pu "entrer dans le match" pour incarner sa stature de Première ministre, dixit un conseiller de l'exécutif.
Pourtant "ses débuts sont plutôt réussis" en termes de notoriété, observe le directeur général opinion de l'Ifop Frédéric Dabi, en constatant que "la part des personnes qui ne la connaissent pas s'est effondrée".
Mais son "image reste en construction", ajoute-t-il, entre "compétence, sérieux, rigueur, intégrité" et les "défauts macroniens" d'une "personne technicienne, pas élue, entretenant une forme de distance". Voire de "dureté", comme l'illustre l'échange qui a suscité la polémique avec une auditrice handicapée, que Mme Borne a invité à "peut-être reprendre une activité professionnelle".
Réflexes balbutiants
Parallèlement, les élections l'ont contrainte à investir immédiatement le rôle de cheffe de la majorité, porte-étendard de la bataille des législatives.
Une gageure dans une macronie où il est difficile d'exister à l'ombre du chef de l'Etat, d'autant que Mme Borne, jamais élue mais qui se revendique de gauche, n'est guère identifiée politiquement et n'amène aucune troupe derrière elle.
Mme Borne a donné des gages, organisant des visioconférences avec tous les candidats, et effectuant quelques visites de soutien. Mais son allocution sans souffle au soir du premier tour a aussi fait mesurer sa marge de progression.
"Pudique", selon son entourage, Mme Borne peine sur le terrain à sortir de son rôle de VRP des politiques gouvernementales, qu'elle vend plus facilement que son propre nom dans la 6e circonscription du Calvados, où elle concourt.
Les réflexes de campagne sont encore balbutiants: elle oublie souvent, entre les étals du marché ou en concluant une réunion publique, de rappeller de voter pour elle! "Il va falloir qu'elle fende l'armure", souligne un conseiller de l'exécutif.
Mme Borne sera obligée de muscler rapidement son jeu politique, devant une Assemblée où une gauche revivifiée devrait la bousculer.
Les résultats des législatives pourraient aussi chambouler la donne: "Si la majorité pour Emmanuel Macron est relative" et l'oblige à bâtir une coalition, problablement avec LR, "est-ce qu'elle reste? La question se pose", avance Frédéric Dabi.