Avec 2,3 millions de demandes de logement social en attente, la crise du logement en France n'est plus à démontrer. "Comme on ne construit plus assez, le gouvernement dit +on va faire un choc de l'offre, on va faire 500.000 logements+ (...) et les maires, prenez vos truelles", lance Thierry Repentin, maire PS de Chambéry (Savoie), estimant que la mise en oeuvre des politiques nationales en matière de logement repose toujours "sur les maires".
Mais l'équation est de plus en plus difficile à tenir, selon des élus qui participaient jeudi à un forum sur le logement à l'occasion du congrès de l'Association des maires de France (AMF).
Régulièrement accusés par les professionnels du bâtiment de bloquer les permis de construire, les maires disent se sentir "un peu seuls" face aux enjeux, d'autant que l'objectif de "zéro artificialisation nette" (ZAN) des sols, inscrit dans la loi climat de 2021, réduit encore leur marge de manœuvre.
"En tant que maire d'une commune de 4.200 habitants, quand on se lève, on est souvent dans le brouillard pour la simple raison qu'on ne maîtrise souvent pas le foncier qui est indispensable à la construction, et le ZAN va nous mettre une pression supplémentaire", témoigne Vincent Hagenbach, maire UDI de Richwiller (Haut-Rhin).
Malgré la possibilité de préempter des terrains, via notamment les établissements publics fonciers, il y a toujours un reste à charge, parfois important, pour les communes.
Camille Pouponneau, maire de Pibrac, commune de 8.000 habitants de Haute-Garonne, en a fait l'amère expérience. "On a dû abandonner un projet de rachat d'une maison située près d'une gare pour la transformer en logement collectif parce qu'il nous restait 200.000 euros à payer et que c'est l'argent qu'on dépense chaque année pour entretenir nos bâtiments communaux", souligne-t-elle.
"Rééquilibrer les territoires"
A Villeurbanne, commune très attractive qui jouxte Lyon, les élus se félicitent d'avoir réussi à encadrer le prix des loyers. Mais c'est désormais le prix du foncier, objet d'une "concurrence à la hausse entre promoteurs", qui fait grincer des dents, dans une ville qui compte 10.000 demandeurs de logements sociaux.
"A quoi ça sert de signer des permis de construire si c'est pour voir arriver des logements à 8.000 euros le mètre carré inaccessibles à 80% des ménages ?", interroge Agnès Thouvenot, première adjointe au maire, qui réclame un mécanisme "d'encadrement des prix du foncier" et un "véritable Etat stratège pour rééquilibrer les territoires".
A Malakoff (Hauts-de-Seine), la maire PCF a signé une charte avec les promoteurs qui établit un prix de sortie à 6.000 euros le m2 dans un marché qui tutoie les 8 à 10.000 euros. Mais cette charte n'a pas de valeur réglementaire.
Les maires pointent aussi la "complexité" des outils dont ils disposent. "On sait qu'on doit loger des personnes âgées qui habitaient en zone rurale. Pour ça on a pas mal d'outils, mais on aimerait qu'ils soient lisibles, compréhensibles et stables", demande Isabelle Le Callennec, maire LR de Vitré (Ille-et-Vilaine).
Partout en France, les édiles se plaignent aussi d'une inflation des recours des riverains contre les nouveaux projets, les habitants regardant souvent d'un mauvais œil les constructions nouvelles.
"Il faut réintroduire un débat. Les grands ensembles ont traumatisé l'imaginaire collectif et nous sommes les réceptacles de cette inquiétude. Pourtant on est aussi très sollicités pour avoir des logements", reconnaît Hélène Geoffroy, maire PS de Vaulx-en-Velin (Rhône).
Face à la multiplication des recours, les élus regrettent un manque de soutien de l'Etat et craignent une défaite aux prochaines élections s'ils accordent trop de permis. "Les maires doivent porter seuls la question de la densité et l'explosion des recours. Il faut réhabiliter l'acte de construire", plaide Thierry Repentin.