"La couleur a repris le dessus!", s'enthousiasme Valérie Thomas, conservatrice du musée de l’École de Nancy et de la Villa Majorelle, en détaillant les deux grandes baies ornées de vitraux exécutés par Jacques Gruber, surplombant l'imposant escalier en bois.
Au mur est accrochée la reproduction d'un dessin préparatoire de Victor Prouvé que la famille Majorelle possédait dans sa collection. Pour préserver l'original, c'est une copie qui a été installée.
"L'objectif de la rénovation était de conserver la valeur d'intégrité et d'authenticité" de la maison, précise Camille André, architecte.
Toute première maison entièrement conçue selon les préceptes de l'Art nouveau, courant artistique européen tout en courbes, en couleurs et en ornementations s'inspirant du monde végétal, la Villa Majorelle est "un élément de l'âme nancéienne", estime le maire, Laurent Hénart.
Au début du XXe siècle, "l'identité de la ville s'est établie avec l'Art Nouveau, qui, en France, était à Nancy. C'est une étape majeure de l'histoire de la ville", souligne-t-il.
Louis Majorelle (1859-1926), qui étudiait aux Beaux-Arts à Paris, revient à Nancy à la mort de son père pour épauler sa mère dans la gestion de la fabrique familiale de meubles et faïences.
Avec son frère, Auguste, il se lance dans la production de mobilier moderne qui rencontre un succès solide et durable en France comme à l'étranger.
En 1898, ébéniste et décorateur, il confie les plans de sa maison familiale à l'architecte Henri Sauvage (1859-1926), qui la construit en 1901 et 1902.
Reconstitution minutieuse
Devenue propriété de l’État à la mort de Louis Majorelle en 1926, l'élégante bâtisse aux fenêtres arrondies abrite des services administratifs. Les locaux ont été excessivement chauffés, endommageant boiseries et tentures. Beaucoup d'éléments ont été repeints en blanc, les décors en pochoirs recouverts et les vernis avaient noirci.
En 2003, la municipalité acquiert la maison, classée Monument historique dès 1996 puis labellisée Maison des illustres en 2011, et organise des visites guidées avant d'entamer des travaux de rénovation en 2016.
La réhabilitation, l'ameublement et la décoration de la villa ont été réalisés à partir de photographies anciennes issues des albums de famille. Chaque détail a été minutieusement étudié par un comité scientifique, composé notamment de spécialistes de l'Art nouveau.
Pour les murs de la salle à manger, la couleur de la peinture à l'huile a été déterminée à partir d'un simple fragment de papier peint d'origine.
"Quand nous n'avions pas assez d'informations, nous avons décidé de ne pas faire du faux, de ne pas extrapoler et de rester dans un décor limité", précise Mme Thomas.
La Villa Majorelle - aussi appelée Villa Jika, d'après les initiales de l'épouse de l'artiste, Jane Kretz - a été aménagée avec du mobilier et des objets d'origine, acquis auprès de particuliers, issus du musée de l’École de Nancy ou fabriqués par des manufactures locales.
Au fil des pièces, des trésors se dévoilent: la porte d'entrée décorée avec des fleurs monnaie-du-pape, la frise de panneaux peints par Francis Jourdain dans la salle à manger, un lustre en métal et vitrail dans le vestibule, le lit "papillon" en placage de frêne avec des incrustations de nacre et de laiton.
La signalétique est volontairement minimaliste pour donner l'impression d'entrer dans la maison de Louis Majorelle, telle qu'elle était lorsqu'il l'occupait avec sa femme et son fils Jacques.
Deux ans de travaux sont encore nécessaires pour restaurer des pièces situées aux 1er et 2e étages, comme la salle de bain et l'atelier de Louis Majorelle.
La rénovation, qui a débuté par les extérieurs, aura coûté en tout 3,5 millions d'euros, financés en partie par des fonds de l'Union européenne, des subventions de la Région Grand Est et de l’État.