Finie la période de réflexion sur les modalités de cette réforme aussi attendue que redoutée: la retenue à la source va devenir "une réalité", a souligné lors d'une conférence de presse le ministre des Comptes publics Gérald Darmanin, évoquant un "premier pas" dans la mise en oeuvre du futur dispositif.
Plus de 37 millions de foyers fiscaux vont devoir déclarer au cours des prochaines semaines les revenus qu'ils ont perçus en 2017, soit via la pré-déclaration reçue par courrier, soit sur le site des impôts.
La déclaration en ligne est devenue obligatoire depuis 2016 au-delà d'un certain niveau de revenus, fixé à 15.000 euros cette année contre 28.000 euros en 2017, l'objectif étant de généraliser cette règle l'an prochain.
Les ménages ne possédant pas de connexion internet ou n'étant pas en mesure d'effectuer leur déclaration en ligne peuvent néanmoins continuer à utiliser les déclarations papier, en signalant leur situation à l'administration.
La déclaration en ligne "présente de nombreux avantages", a toutefois insisté Gérald Darmanin, invitant les contribuables à opter pour cette solution.
Les télédéclarants auront en effet plus de temps pour leur déclaration, les dates limites de souscription sur internet allant du 22 mai au 5 juin selon les départements, contre le 17 mai pour la voie postale.
Surtout, la télédéclaration permettra de connaître aussitôt le taux de prélèvement qui sera transmis aux collecteurs d'impôt (entreprises, caisses de retraites...). Ceux qui optent pour le papier devront attendre l'envoi des avis d'imposition, à la fin de l'été.
Bug informatique
Le taux de prélèvement est calculé sur la base du revenu de référence des foyers. Mais les couples qui le souhaitent pourront opter pour des taux individualisés (via un onglet "gérer mon prélèvement à la source" sur le site internet) pour éviter que les deux conjoints ne soient prélevés au même taux, quel que soit leur salaire.
Pour des raisons de confidentialité, les contribuables qui le souhaitent auront en outre la possibilité de demander qu'un "taux neutre" leur soit appliqué. Leur taux de prélèvement réel ne sera alors pas connu de leur employeur, mais ils devront régulariser chaque année leur situation auprès du fisc.
Une série de dispositifs nécessaires mais qui rendent un peu plus complexe la réforme. Celle-ci suscite de fortes réticences chez les chefs d'entreprise, notamment chez les artisans, qui estiment ne pas avoir à se transformer en "percepteurs d'impôts".
"Je comprends les interrogations" mais "de temps en temps, c'est bien de penser aux salariés", a jugé mardi M. Darmanin, vantant "une mesure de simplification pour les Français".
Près de "98% des foyers fiscaux voient leurs revenus changer d'une année sur l'autre". Or "le décalage d'un an entre les revenus et le paiement des impôts peut poser de nombreuses difficultés", a-t-il ajouté.
Le ministre a par ailleurs écarté tout risque de bug, alors qu'un problème informatique a entraîné cette année un défaut de transmission d'une partie des déclarations pré-remplies, concernant près de 500.000 contribuables.
Ce problème, qui porte sur des informations transmises par la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav), a été résolu sur les déclarations internet, mises en ligne normalement mardi, selon la Direction générale des finances publiques (DGFIP).
Il n'a en revanche pas pu être corrigé à temps sur les versions papier, qui intègreront des niveaux de revenus sous-estimés. Selon la DGFIP, des correctifs seront envoyés courant avril aux contribuables concernés.
Ce problème "n'a rien à voir avec l'impôt à la source", a assuré Bruno Parent, directeur général des finances publiques, appelant les particuliers à être vigilants lorsqu'ils recevront leur déclaration d'impôt pré-remplie.
"Ce sont les contribuables qui sont responsables" de la déclaration de revenus "et qui doivent vérifier les chiffres, d'où qu'ils viennent", a-t-il conclu.
L'U2P lance une campagne de protestation
L'union des artisans, commerçants et professions libérales U2P va lancer une campagne et une pétition pour dénoncer le fait que les entreprises soient chargées à partir de 2019 de prélever sur les salaires l'impôt sur le revenu, a annoncé mardi l'organisation patronale.
Cette campagne, intitulée "Gérer les feuilles d'impôts, c'est pas mon boulot!", est lancée alors que le gouvernement donne le coup d'envoi de la campagne de déclaration 2018 de l'impôt sur le revenu, qui servira à enclencher la réforme du prélèvement à la source, censée entrer en vigueur au 1er janvier 2019.
Dans un communiqué, l'U2P (Union des entreprises de proximité) appelle à revoir et corriger le dispositif "pour en réduire l'impact sur les entreprises de proximité".
Jugeant "absurde et contreproductif" de confier la mise en oeuvre de cette tâche aux patrons, l'organisation, qui affirme représenter 2,3 millions d'entreprises, demande de "simplifier le dispositif, compenser les coûts de gestion pour les employeurs, et protéger ces derniers des risques juridiques encourus".
Elle estime que cette réforme "coûtera environ 125 euros par salarié pour la mise en place la première année, et autant pour la gestion annuelle en régime de croisière".
"Cela représente un surcoût global d'un milliard d'euros pour l'ensemble de l'économie de proximité en 2019, et 500 millions chaque année par la suite", ajoute-t-elle.
Le gouvernement s'appuie pour sa part sur un audit de l'Inspection générale des finances (IGF), rendu public en octobre, selon lequel la "charge financière" liée au passage au prélèvement à la source se situerait entre 310 et 420 millions d'euros.
L'U2P affirme par ailleurs que le dispositif devrait créer pour le chef d'entreprise "1H30 de travail supplémentaire par salarié chaque mois, ce qui représente une semaine de travail non rémunéré en plus par an pour l'employeur".
Enfin, l'organisation s'inquiète des risques juridiques induits pour les patrons: ils encourent au minimum 250 euros d'amende par déclaration en cas d'erreur ou d'omission de déclaration, et un an d'emprisonnement et 15.000 euros d'amende en cas de divulgation, même involontaire, de données personnelles.
"Face au risque de développement de nombreux contentieux préjudiciables au devenir des entreprises, l'U2P demande que les employeurs bénéficient d'une large protection, ceux-ci n'ayant par ailleurs aucune formation particulière pour assurer leur nouvelle mission de collecteurs d'impôts", réclame-t-elle.