"L'urbanisation généralisée du globe et sa métropolisation planétaire sont le creuset de la crise sanitaire", affirmait en avril l'urbaniste Guillaume Faburel dans une tribune au journal Marianne.
C'étaient les premiers mois de la crise du coronavirus. Un strict confinement - le premier - venait d'être décrété en France et de nombreux citadins avaient fui à la campagne pour passer plus à l'aise cet enfermement à domicile.
C'était aussi l'époque des premières analyses sur la crise et M. Faburel, porteur d'une vision radicale en faveur du retour à la campagne contre des métropoles jugées "barbares", regrettait que le rôle des villes ne soit pas assez dénoncé.
Depuis, il l'a été. Les grandes villes ont d'abord été présentées comme un terreau idéal à l'essor du coronavirus, à commencer par la métropole chinoise de Wuhan où il est apparu.
"Par leur densité, (les) nouvelles configurations urbaines portent en germe des déflagrations écologiques à haut potentiel de vitalité", assuraient dans Le Monde l'épidémiologiste Didier Sicart et le maire de Neuilly Jean-Christophe Fromantin, peu avant l'été 2020.
Mais les mois suivants ont nuancé ce type d'analyse. M. Fromantin, qui envisage un "monde débarrassé des métropoles", et M. Sicart, évoquaient ainsi la supposée transmission du virus du pangolin à l'homme, une hypothèse depuis largement écartée.
Surtout, l'épidémie a fini par se développer à grande vitesse hors des métropoles, comme aux Etats-Unis où, après une première vague violente pour les grandes villes comme New York, des Etats très peu habités comme le Dakota du Nord ont connu un automne difficile.
Contacts spontanés
Cette phobie des villes n'a en fait pas attendu la crise actuelle. Elle est aussi vieille que les villes elles-mêmes, comme le souligne l'historien britannique Ben Wilson qui, à rebours de cette tendance, vient de publier un livre vantant les cités comme la "plus belle invention" de l'humanité.
"A travers l'Histoire, les gens ont toujours prédit la destruction des villes, comme si elles étaient sur le point de s'effondrer parce qu'elles sont trop compliquées, pas assez hygiéniques, gangrenées par le crime...", souligne-t-il auprès de l'AFP, faisant remonter ces craintes jusqu'à la Bible.
"La Bible a largement été écrite par des prisonniers hébreux que l'on avait emmenés à Babylone, cette ville tentaculaire, et qui la voyaient comme une punition divine et vouée à la destruction", note-t-il.
Bien plus récemment, au XIXe siècle, l'essor du Londres pauvre et pollué de la Révolution industrielle, immortalisé par les romans de Charles Dickens, a poussé nombre d'intellectuels de l'époque à imaginer de recouvrir l'Angleterre de "cités-jardins" verdoyantes et au nombre limité d'habitants.
La crise actuelle n'est cependant pas sans une nouveauté de taille: l'essor des nouvelles technologies a permis de largement généraliser le travail à domicile pendant les époques de confinement.
Faut-il pour autant imaginer, comme M. Fromantin, qu'en donnant à chacun la possibilité de (télé)travailler où il le souhaite, on fera perdre le lustre des immenses cités au profit des villes moyennes?
Dans une telle vision, les villes n'ont de l'intérêt que parce qu'elles concentrent beaucoup de gens dans les mêmes bureaux.
Mais pour l'urbaniste Alain Bertaud, c'est mal comprendre le véritable attrait des métropoles: elles multiplient par essence les rencontres spontanées.
"C'est très important dans le marché de l'emploi, cette éducation permanente qui vient de contacts imprévus", note-t-il auprès de l'AFP. "Et la ville y est plus propice."
"Cette stimulation peut arriver sans qu'il y ait une très haute densité", nuance M. Bertaud. "Silicon Valley, c'est une banlieue pas très dense, comme la petite couronne parisienne. Mais il faut quand même que les gens se rencontrent face à face."
L'urbaniste ne s'inquiète pas pour autant de l'essor des discours anti-villes, même aussi tranchés que chez M. Faburel, car il n'en attend guère d'influence majeure.
"En Asie, personne ne dit que les villes sont inutiles. Ils se rendent compte que l'urbanisation a créé des richesses extraordinaires", tranche M. Bertaud. "Ils se souviennent de ce qu'étaient l'Inde ou la Chine il y a cinquante ans."