"Un hôtel particulier, ça fait rêver mais on aura du mal à l'acquérir tout seul", résume à l'AFP Bilal El Alamy, fondateur de la startup Equisafe.
M. El Alamy ne cite pas cet exemple dans le vide: son groupe a géré technologiquement la vente fin juin d'un hôtel particulier à Boulogne-Billancourt (92), près de Paris, pour quelque 6,5 millions d'euros.
Le prix est élevé, mais c'est une transaction immobilière courante sur le marché de Paris et ses environs: si Equisafe la présente comme une première européenne, c'est qu'elle s'est effectuée via la technologie blockchain.
Popularisée par la monnaie virtuelle bitcoin, celle-ci permet à une communauté d'utilisateurs de tenir en ligne une sorte de grand registre commun et infalsifiable.
Ses promoteurs la présentent comme une révolution semblable à l'internet: elle autorise la généralisation d'échanges sans intermédiaires à travers la planète, en particulier en facilitant la fragmentation d'un actif en une myriade de "jetons".
"Ca permet une facilité de cession qui s'effectue en un clic", assure M. El Alamy. "L'idée, c'est de dire que demain, on pourra posséder 0,01% de cet hôtel particulier et le payer avec sa carte bleue."
Pour l'heure, on n'en est pas là car l'opération reste pour l'essentiel un coup d'essai: loin d'aboutir à une ouverture du capital au tout-venant, la vente ne s'est faite qu'à deux promoteurs impliqués à l'avance dans l'opération.
Pour autant, elle a eu lieu dans le monde réel, par contraste avec nombre d'expérimentations autour de la blockchain qui en restent au stade théorique, et, ces derniers mois, d'autres groupes ont géré des opérations semblables aux Etats-Unis, sur des immeubles à New York et dans le Colorado.
Pour les start-up du secteur, la blockchain promet de révolutionner le marché de l'immobilier: d'un côté, en faisant tomber les barrières à l'investissement, et de l'autre en remettant en cause le rôle des intermédiaires comme les agents, dont certains se montrent agacés.
"Moyen-Âge"
"C'est pour le moment quelque chose d'assez anecdotique", grinçait lundi en conférence de presse Laurent Vimont, président de l'antenne française du réseau Century 21. "C'est Tracfin qui va être intéressé par l'opération, plus que Century 21."
M. Vimont faisait allusion à l'organisme public chargé de lutter contre le blanchiment d'argent, reprenant un discours largement répandu chez les acteurs institutionnels et bancaires à l'époque de l'essor du bitcoin: celui-ci était souvent accusé de faciliter le financement du terrorisme et de la criminalité par un fonctionnement opaque.
"C'est une méconnaissance profonde de cette technologie: le registre est public", explique à l'AFP Antoine Yeretzian, cofondateur du cabinet de conseil Blockchain Partner. "Il y a des gens qui sont condamnés par les tribunaux sur la base d'échanges de bitcoins."
"C'est plutôt une bonne excuse pour ne pas faire l'effort d'anticipation", ironise-t-il.
Pour autant, M. Yeretzian minimise l'ampleur de l'opération menée par Equisafe, jugeant qu'on est encore loin d'un bouleversement du marché immobilier.
"C'est intéressant de faire cet exercice-là mais ce qu'on a échangé, ce ne sont pas des parts de l'immeuble, c'est une part de société qui possède l'immeuble", avance-t-il, y voyant la différence entre posséder la part d'une société immobilière et être réellement copropriétaire.
"Actuellement, ce type d'opérations permet de comprendre les règles du jeu, mais aujourd'hui, on en est encore au Moyen-âge", poursuit-il. "On n'est pas au stade où il y a des retours sur investissements, des économies d'échelle. Là, on tâtonne."
"Je suis persuadé que l'immobilier va en profiter mais à moyen ou long terme", explique M. Yeretzian, impliqué dans une autre star-tup liée à la blockchain et l'immobilier, Olarchy.
Pour lui, si la "blockchain" porte une révolution, c'est moins en permettant de fragmenter la simple propriété d'un actif financier, qu'en ouvrant la voie à échanger des "droits d'usage", comme un bail ou l'utilisation d'une place de parking.
"On peut très bien imaginer qu'on le découpe en fonction des fuseaux horaires. C'est une ingénierie que la blockchain est parfaitement en mesure de faire", conclut-il.