Un projet atypique pour un grand lieu culturel, ouvert à tous, où travailleraient ensemble, arts, musique, architecture, design, danse..., où se côtoieraient musée, bibliothèque, cinémathèque... Telle est l'idée très nouvelle pour l'époque du président Georges Pompidou, lui même passionné d'art contemporain. Restait à trouver l'architecte capable de concevoir un tel bâtiment !
Rare à l'époque, un concours international est lancé. Présidé par Jean Prouvé, pionnier de l'architecture métallique, le jury compte parmi ses membres des stars comme le Brésilien Oscar Niemeyer ou l'Américain Philip Johnson. "Vous ne pouviez qu'accepter sa décision", se souvient Renzo Piano (80 ans). "C'était un très bon jury puisque nous avons gagné", plaisante Richard Rogers (84 ans).
680 projets ont été soumis à cet aréopage. A la surprise générale, le tandem Piano-Rogers l'emporte avec un "vaisseau futuriste", assez différent de ce que sera finalement Beaubourg mais où l'esprit du centre est déjà présent.
En visitant l'exposition "Hommage" que leur consacre le centre à l'occasion de ses 40 ans (jusqu'au 12 février), les deux complices racontent à l'AFP ce fameux coup de fil qui a changé leur vie. "Au téléphone, Renzo m'a demandé de m'asseoir, se souvient Richard Rogers, puis il m'a dit : on a gagné le concours".
L'architecte italien évoque le quiproquo qui a accompagné cette annonce: "Le secrétariat du jury m'a appelé à Gênes pour me dire que nous étions lauréats. Or en italien, lauréat veut dire diplômé. J'ai répondu que nous
Le génie de "La Piazza"
Le projet Piano-Rogers est le seul à n'utiliser qu'une partie de la parcelle dégagée au "coeur de Paris". La "Piazza" est un coup de génie, mais pour rattraper le nombre de mètres carrés prévus, les architectes vont dépasser la hauteur autorisée par le bâtiment, ce qui aurait pu leur valoir d'être écartés.
Mais le plus dur reste à venir. "En sept ans, nous avons eu deux articles favorables", note Richard Rogers, même si les critiques n'ont jamais atteint le niveau de violence supporté par I.M. Pei pour la pyramide du Louvre. L'exposition propose un florilège des articles critiques.
"L'hostilité donne de la force. C'est un aiguillon", juge Piano. "Quelqu'un a réédité un manifeste d'intellectuels contre la Tour Eiffel, en prenant soin de remplacer tout au long du texte ces deux mots par Centre Pompidou", se souvient Richard Rogers.
Nouveau chef de l'Etat, Valéry Giscard d'Estaing ne cache pas ses réserves face au Centre, - il n'est que de voir son discours d'inauguration en janvier 1977 - mais il n'ose pas s'attaquer de front à un projet qui porte le nom de son prédécesseur. Une idée ingénieuse du premier directeur de Beaubourg, Robert Bordas, qui soutiendra toujours le projet.
Le tandem - en réalité un trio avec Peter Rice, "un brillant ingénieur", selon l'architecte britannique - reconnaît l'influence de groupes d'avant-garde comme Archigram (fondé par Peter Rice), de Cedric Price, spécialiste de la mobilité et de la flexibilité, ou encore du théoricien Rayner Banham. Dans une Angleterre en pleine effervescence créatrice, "tout le monde a été influencé", reconnaît Richard Rogers.
"La flexibilité est le mot-clef et nous l'avons appliquée" à Beaubourg, explique l'architecte britannique (de mère italienne). D'où ces grands plateaux aménageables, dont on peut voir une belle utilisation dans la scénographie actuelle de l'exposition César. Il pointe aussi du doigt le coût raisonnable du bâtiment (100 dollars le m2).
Autre préoccupation des deux architectes, "faire en sorte que le centre ne soit pas intimidant comme peut l'être un musée traditionnel", souligne Renzo Piano.
Dès son ouverture, le centre a rencontré un immense succès avec 7 millions de visiteurs la première année (25.000 par jour). En 2016, quelque 3,3 millions de personnes ont fréquenté Beaubourg, dont les jauges de sécurité sont beaucoup plus strictes.