« Il y a un an, soit quasiment six mois avant le début du mouvement des "gilets jaunes", les défaillances d'entreprises amorçaient une augmentation qui allait se poursuivre jusqu'en fin d'année ; décembre était même le mois de clôture annuel le plus sinistré depuis 2015. Le premier semestre 2019 s'annonçait donc compliqué et le mois de janvier (+11%) semblait confirmer » Rappelle Thierry Millon, Directeur des études Altares
« En réalité, si la forte sinistralité ce premier mois de l'année avait effacé l'excellent chiffre de début 2018, le nombre de défaillances de janvier 2019 était encore sur un plus bas à dix ans. Le premier trimestre passait finalement au vert (-1%). Le dispositif d'aides mis en place par les pouvoirs publics à partir de fin novembre 2018 semble avoir permis aux « petits » entrepreneurs de tenir. Sur le deuxième trimestre, le nombre d'entreprises tombées en défaillance recule encore (-3,1%). Les mesures d'accompagnement qui courraient jusqu'à fin avril 2019 avaient été prolongées jusqu'à fin juin.
Alors, le plus dur est-il passé ? Non, alertent les rédacteurs d'un récent rapport sénatorial (1) qui n'écartent pas une « augmentation critique » du nombre de défaillances d'entreprises sur le second semestre. »
(1)Rapport d'information n° 605 (2018-2019) de Mme Évelyne RENAUD-GARABEDIAN, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 26 juin 2019
Un nombre de défaillances au plus bas depuis le deuxième trimestre 2008
Le nombre de défaillances d'entreprises enregistré ce trimestre est comparable à celui du deuxième trimestre 2008, jamais il n'avait été aussi bas. 12.347 procédures (-3,1%) ont été ouvertes.
Les procédures de sauvegardes sont peu nombreuses (209 ; -11,8%) représentant seulement 1,6% de l'ensemble des procédures, un taux très inférieur aux 2,3% observés en moyenne depuis dix ans. Les liquidations judiciaires directes (LJ) sont, elles aussi, en recul sensible (-4,4%) à 8.387. En revanche, les redressements judiciaires (RJ) ne reculent pas (+0,3%) à 3.751.
Microentreprises et grosses PME & ETI concentrent les difficultés
Les TPE représentent 94% (11.623) de l'ensemble des entreprises défaillantes, leur nombre recule de 2,5% par rapport à la même période 2018. Toutefois, les plus petites TPE, les microentreprises de moins de 3 salariés, enregistrent un nombre de redressements judicaires en augmentation de 5%.
Les PME de 10 à 99 salariés s'inscrivent sur une tendance clairement favorable (685 ; -14,3%).
En revanche, les grosses PME voire ETI, structures d'au moins 100 salariés, dérapent fortement (+62,5%) ; 39 d'entre-elles sont tombées en défaillances soit 3 défauts chaque semaine. Les redressements judicaires de PME d'au moins 100 salariés ont tout simplement doublé.
Le nombre d'emplois menacés augmente sensiblement
Si le nombre d'entreprises placées en procédure de sauvegarde recule rapidement, le nombre moyen de salariés par entreprise augmente sensiblement passant de 11,8 emplois il y a un an à 12,4 désormais. Il en est de même pour les structures en redressement judiciaire qui comptent en moyenne 5,6 emplois contre 4,4 un an plus tôt ; ce taux est le plus haut depuis 2015. Seules les entreprises placées en liquidation directe employaient en moyenne moins de salariés (2,1 contre 2,4).
Dans ces conditions, le nombre total d'emplois directement menacés par les défaillances d'entreprises de ce deuxième trimestre grimpe à 41 000 soit 1 200 de plus que sur la même période 2018.
Les jeunes entreprises plus résistantes que leurs ainées
Les défaillances de très jeunes entreprises de moins de trois ans ont reculé de 8,8% ce deuxième trimestre, en comparaison du même trimestre 2018. Mieux, le nombre de liquidations directes chute le 11%. Les structures âgées de 4 à 10 ans sont également moins sinistrées (-2,1%) comme celles de 11 à 15 ans (-4,8%). En revanche, en écho à la vulnérabilité des grandes PME généralement plus anciennes, les sociétés créées il y a plus de 15 ans, parviennent difficilement à contenir la sinistralité (+0,3%). Pour cette catégorie d'entreprises, les redressements judiciaires augmentent deux fois plus vite que ne reculent les liquidations directes (+7% contre -3,5%).
Seulement un tiers des sociétés défaillantes publie des comptes non confidentiels
Traditionnellement, et ce deuxième trimestre 2019 le confirme, le tiers des sociétés commerciales défaillantes âgées de plus de deux ans est en retard ou en défaut de publication des comptes annuels. Pour les deux autres tiers, les comptes restent donc bien publiés mais la confidentialité prend le pas. Ainsi, sur le deuxième trimestre 2019, un tiers des bilans était manquant, un tiers était confidentiel et un tiers était publié en toute transparence. Il y a deux ans, la part des comptes confidentiels était deux fois moindre.
La plupart des régions conservent de bonnes tendances
Quatre régions enregistrent une baisse continue depuis six ans du nombre de défaillances d'entreprises sur le deuxième trimestre. Nouvelle Aquitaine (-2,4%), Auvergne Rhône-Alpes (-6,4%), Occitanie (-8,2%) et Normandie (-10%) connaissent un recul de la sinistralité des entreprises chaque deuxième trimestre depuis 2014. Nous pourrions y associer les Hauts de France (-9,0%) qui avaient légèrement chuté sur le seul T2 2018.
Trois régions terminent leur deuxième trimestre sur une amélioration depuis trois ans voire quatre, Bretagne (-2,9%), Centre Val de Loire (-16,0%) et Pays de la Loire (-6,4%).
En revanche, la situation se tend fortement en Bourgogne Franche Comté (9,8%). Depuis 2016, la région avait enregistré une baisse des défaillances chaque deuxième trimestre. Provence Alpes Côte d'Azur bascule également dans le rouge (+2,2%)
En Corse, les évolutions sont traditionnellement très marquées à la hausse comme à la baisse du fait du nombre peu important des procédures collectives prononcées. Sur ce deuxième trimestre, la sinistralité des entreprises augmente sévèrement (+23,1%), après un recul de prés de 11% il y a un an et de 23% en T2 2017.
La situation francilienne est particulière. La région, qui concentre le quart des défaillances d'entreprises enregistrées en France, n'a connu qu'un bon deuxième trimestre sur cinq ans, en 2017, mais la quasi-totalité des régions, exception faite de PACA, était alors favorablement orientée. Sur ce T2 2019, l'Ile de France accuse une légère dégradation (+0,8%).
Les entreprises du bâtiment et l'immobilier sous tension
Le commerce et le bâtiment, qui portent près de la moitié des défaillances d'entreprises, donnent le ton.
3.218 entreprises de la construction sont tombées en défaillances ce trimestre, c'est 2,4% de moins qu'il y a un an. Les Travaux publics sont bien orientés (-10,2%), devant le second œuvre (-5,9%), tandis que le gros œuvre est davantage à la peine (-0,5%), en particulier en maçonnerie générale (+3%). L'immobilier est sous tension notamment dans la promotion immobilière.
Dans le commerce la tendance reste favorable (2.672 ; -4,7%). 1.589 détaillants sont entrés en procédure collective, c'est 8,4% de moins que lors du deuxième trimestre 2018.
Les services aux entreprises sont en revanche mal orientés (1.606 ; +2,8%) en particulier dans le conseil en communication et gestion (+10,3%), le nettoyage de bâtiments (+11,5%), ou la sécurité (+9,1%).
Dans le secteur de l'Information & communication, les difficultés se concentrent sur les services informatiques & édition de logiciels (217 ; +4,8%).
Le secteur du transport et de la logistique est, ce trimestre encore, dans le rouge avec des défaillances en hausse de 6,4%. Les difficultés se concentrent dans le transport routier de marchandises (+12,1%) qui rassemble plus de la moitié des acteurs (297 sur 516). Si le fret de proximité dérape de 5,6%, l'interurbain accuse quant à lui une forte augmentation de 20,5%.
« L'avenir n'est pas déjà écrit, il ne se prévoit pas, il se prépare » disait Maurice Blondel
"Les manifestations des gilets jaunes ont mis à genou des commerçants et artisans déjà fragilisés depuis des mois. D'autres entrepreneurs, également situés dans les centres-villes impactés, ont pu faire le dos rond, voire amortir le choc d'exploitation et la perte définitive de chiffre d'affaires. Ils ont tenu. Certes, les défaillances augmentent encore fortement localement, notamment à Marseille, Rouen, ou Chambéry, mais sur l'ensemble du territoire les audiences n'ont pas connu les affluences redoutées quelques mois plus tôt. Les deux tiers des tribunaux terminent le deuxième trimestre dans le vert. Mieux, plusieurs d'entre eux constatent un recul des contentieux, voire des injonctions de paiement.
La fin des mesures d'accompagnement va naturellement sonner le rappel des paiements et cotisations en retard et tous n'auront pas récupéré la trésorerie pour effectuer ces règlements. Néanmoins les conditions de business s'améliorent lentement. Le regain de pouvoir d'achat obtenu "grâce" au mouvement des « gilets jaunes » pourrait bien permettre de tirer la consommation du second semestre et la croissance. Et si le paradoxe était là ? Avoir, au fil des semaines, préparé un avenir bien différent des prévisions !" Conclut Thierry Millon