Les rues chypriotes sont une alternance de maisons traditionnelles en pierre, aux murs fissurés et aux volets de bois défraîchis, et de tours résidentielles bétonnées notamment érigées dans les villes touristiques.
Après le séisme en mer Egée le 30 octobre (une centaine de morts en Grèce et en Turquie), des Chypriotes ont sonné l'alarme.
"Les maisons gravement endommagées sont un danger pour la sécurité publique", dit à l'AFP Andreas Theodotou, président de l'association des ingénieurs civils. "Notre principale préoccupation concerne les bâtiments construits avant le Code sismique de 1994", soit "une grande majorité".
Selon le dernier rapport de la Défense civile sur l'évaluation des risques à Chypre datant de 2018, plus de 70% des constructions étaient antérieures aux standards sismiques. Et plus de 50% des bâtiments en pierre pourraient être perdus en cas de séisme majeur.
Chypre est divisée depuis l'invasion en 1974 de son tiers nord par l'armée turque en réponse à un coup d'Etat visant à rattacher l'île méditerranéenne à la Grèce. Une zone tampon sépare la République de Chypre (sud) de l'autoproclamée République turque de Chypre-Nord (RTCN).
Beaucoup d'habitants ont dû abandonner leur maison pour se réfugier au nord ou au sud de l'île selon leur appartenance communautaire. A cela s'ajoutent crises économiques, problèmes de succession ou simple préférence pour la modernité. Résultat: de nombreuses habitations ne sont plus entretenues.
A Nicosie, dernière capitale divisée au monde, se dégage une atmosphère architecturale unique liée à la succession de dominations étrangères.
Mais Savvas Louka, un boucher de la vieille ville, s'inquiète.
En février 2019, un immeuble inhabité face à son commerce s'est effondré à cause des pluies. "Mon immeuble non plus n'est pas en bon état", dit-il.
Plaques tectoniques
Chypre, à la jonction des plaques tectoniques africaine et eurasienne, "repose dans la zone sismique alpino-himalayenne où ont lieu 15% des tremblements de terre dans le monde", souligne le Dr Sylvana Pilidou, du Département d'études géologiques.
"Des découvertes archéologiques ont révélé que de puissants séismes avaient frappé Chypre (...) et détruit ses villes."
Comme un rappel, l'île a enregistré en décembre un tremblement de terre de magnitude 5,4, dont l'épicentre se situait à 130 km au large mais qui a été ressenti à Nicosie.
En 1953, un double séisme a fait 40 morts. Quelque 1.600 maisons ont été détruites et 10.000 bâtiments sérieusement endommagés.
"Les villes côtières (...) sont dans une région sismique plus importante. Mais tous les bâtiments mal entretenus, vieux ou abandonnés à travers l'île ont un grand risque d'être endommagés ou même de s'effondrer", prévient Platonas Stylianou, secrétaire général de la Chambre technique et scientifique.
In extremis
Que faire pour protéger le petit million d'habitants de Chypre?
Si les nouvelles constructions intègrent les normes parasismiques européens, il existe un "manque de culture" en matière d'entretien de l'habitat et "des mesures ne semblent être prises qu'au stade d'effondrement imminent", déplore M. Stylianou.
Les murs de la maison mitoyenne de celle de Savvas Christophidis, architecte à Nicosie, ont été sauvés in extremis. Ses propriétaires Chypriotes-Turcs sont installés dans la partie Nord.
La municipalité et le service de gestion dédié au ministère de l'Intérieur ont fini par intervenir cette année, raconte-t-il.
Mais poussez la double porte de cette demeure et vous tomberez sur un jardin avec pour seul décor un palmier. "Le toit et tout l'intérieur s'étaient déjà effondrés", explique M. Christophidis.
L'entretien est "avant tout la responsabilité des propriétaires", rappelle Kyriacos Kouros, responsable des services techniques au ministère de l'Intérieur. "Il faut développer une culture" en ce sens, plaide-t-il.
Des mesures préventives, dont des listes de bâtiments à risques, sont en cours d'élaboration selon les autorités.
En 2018, plus de 6.350 demeures étaient classées au patrimoine culturel et protégées.
Mais pour Stavroula Thravalou, spécialisée en architecture civile et conservation du patrimoine à l'université de Chypre, "nous devons aller plus loin, avec une stratégie (...) de revitalisation des bâtiments abandonnés et des quartiers".
Un moyen, également, de "restaurer les liens avec les habitants", juge-t-elle.