Le sujet n’a sans doute jamais été aussi prégnant et la sobriété autant d’actualité. La hausse inédite des prix de l’énergie s’inscrit dans un contexte d’optimisation au sein de structures déjà soumises à la réglementation, aux certifications et aux trajectoires de transition énergétique (1). Mais si l’enjeu est de long terme, la question relève aujourd’hui de la gestion de crise. Le changement de paradigme est là et nous sommes bien dans un momentum à la fois économique, environnemental et politique.
Optimiser l’existant : le premier levier d’économies d’énergie
L’inflation exponentielle des tarifs de l’électricité engage les gestionnaires de bâtiments privés et publics dans une démarche, parfois à marche forcée, de réduction de leur consommation énergétique. Rappelons que le prix de l’énergie en France reste bien inférieur à celui appliqué dans les autres pays européens. Réaliser des économies d’énergie repose sur trois leviers : l’optimisation du fonctionnement des systèmes existants grâce à la mesure et à l’analyse, la mise en place de systèmes d’automatisme et de contrôle des équipements, le dimensionnement et la réalisation de travaux pour accroître l’efficacité des équipements et la thermique du bâtiment.
Or, l’optimisation des systèmes en place permet à elle seule de cibler de 10 à 15% d’économies en moins d’un an. En témoigne l’étude conduite au sein de quelque 2500 bâtiments qui ont ciblé une économie d’énergie de 15% en moyenne à partir de l’analyse de leurs usages énergétiques et sans recours à des travaux de rénovation (2).
Viser 10% d’économies d’énergie est un objectif à la fois réaliste et accessible. La démarche est d’autant plus rentable que l’augmentation des prix va s’accompagner d’un retour sur investissement de quelques mois. Le parc tertiaire consomme autour de 220 TWh d’énergie par an (3) : en diminuant sa consommation ne serait-ce que de 10%, il est possible d’économiser jusqu’à 22 TWh, l’équivalent de quatre tranches nucléaires moyennes. La marge de manœuvre est importante et la première marche à portée de main. En effet, il s’agit de viser l’efficacité énergétique en chassant les gaspillages, sans même parler à ce stade de la sobriété qui suppose de réduire le confort ou le niveau de service.
Jouer collectif !
Malgré l’ambition politique, les objectifs affichés sur le court terme restent fondés sur le volontariat et non sur la base de mesures contraignantes. Dans le bâtiment tertiaire, les économies d’énergie dépendent de systèmes de contrôle des équipements complexes au sein d’une chaîne d’action humaine également complexe. Par ailleurs, les opérateurs et les usagers ne sont pas toujours formés à l’utilisation optimale des installations et les responsabilités sont souvent diffuses. Qui de l’occupant, de l’entreprise en charge de la maintenance ou du propriétaire doit « manager » la réduction des consommations d’énergie? Tous à la fois ! Faire des économies d’énergie dans le bâtiment s’apparente à un sport collectif qui repose sur un objectif partagé, un périmètre et des rôles définis, un alignement des actions sur les objectifs et une coordination dans le déploiement de la feuille de route. Plus facile à dire qu’à faire quand on parle d’énergie, une grandeur intangible…
Exploiter les données énergétiques pour comprendre et mieux consommer
Responsabiliser les acteurs est une priorité. Pour cela, il faut pouvoir mobiliser les parties prenantes autour de données sur les usages énergétiques simples, fiables et partagées. Celles-ci permettent d’identifier les postes énergivores et d’optimiser le fonctionnement de chaque équipement, tout comme le tableau de bord est indispensable pour réguler la vitesse d’un véhicule. Avec le déploiement de l’intelligence artificielle et des objets connectés ces dix dernières années, il est aujourd’hui possible de recueillir facilement des données de qualité sur les usages énergétiques avec un nombre minimum de capteurs non-intrusifs.
L’adoption de ces technologies devrait réaffirmer le leadership des startups françaises, à la pointe dans le domaine de la donnée énergétique, et ainsi doter la France d’un avantage compétitif. Aujourd’hui, l’incitation économique et l’ambition politique sont là : gageons que ce soit suffisant pour mobiliser les acteurs autour de cet objectif de 10%, le premier pas vers la sobriété. Pourquoi ne pas profiter de cette impulsion pour se donner les outils pour une maitrise durable des consommations d’énergie ? Ne serait-ce pas l’opportunité de se projeter concrètement dans un nouveau modèle énergétique plus sobre face aux enjeux d’approvisionnement, aux évolutions des prix et à l’urgence environnementale ?
(1) Le Dispositif Eco Efficacité Tertiaire (DEET) ou Décret Tertiaire, issu de la Loi Elan, impose une réduction progressive des consommations énergétiques pour les bâtiments tertiaires dont la surface est supérieure ou égale à 1000 m² : 40% d’ici 2030, 50% d’ici 2040 et 60% d’ici 2050 (par rapport à 2010).
(2) Analyse conduite en novembre 2022 par Smart Impulse auprès de ses clients, représentant 2500 bâtiments, soit 20 millions de m² dans 40 pays.
(3) Ministère de la Transition Écologique, « Scénarios de rénovation énergétique des bâtiments tertiaires, décembre 2020. »
Tribune de Charles Gourio, Président et co-fondateur de Smart Impulse (Linkedin).