Les scènes de mini-émeutes urbaines chaque samedi de l'hiver dernier dans le centre-ville ont sidéré les Bordelais, qui voyaient leur ville, avec ses belles façades du XVIIIe, ses ruelles pavées et son label Unesco, comme un havre: bourgeoise mais pas trop, sage mais gentiment délurée, relookée mais toujours authentique.
La réalité des "gilets jaunes", qui sont souvent encore 2 à 300 le samedi, a aussi mis en relief d'autres maux dans une agglomération passée de 665.000 à 800.000 habitants en vingt ans, en attendant le quasi million (975.000) en 2030.
"On ne comprenait pas pourquoi ça pétait à Bordeaux, la belle endormie. Mais c'est parce que tout autour, il y a de l'exclusion", souligne Philippe Poutou, figure de la gauche radicale locale, dont la liste pourrait se maintenir au 2e tour des municipales.
"Depuis des années, pas mal de gens plutôt modestes ou pauvres sont virés du centre-ville", souligne-t-il, dénonçant une "bourgeoisie bordelaise dirigeante qui ne s'occupe pas des pauvres", allusion à Alain Juppé, maire de 1995 à 2019, et son "héritier" Nicolas Florian (LR).
Si l'hypercentre est quasi piétonnier, l'automobile est reine à là 'échelle de l'agglomération. La rocade, inévitable sur l'axe autoroutier Paris-Espagne, est empruntée par 680.000 véhicules par jour, dont nombre de poids lourds.
Bordeaux est sur le podium des villes les plus embouteillées de France (3e) selon la société de GPS Tom-Tom.
Côté transports en commun, le tramway, héritage de l'ère Juppé qui a contribué à changer la ville, commence à trouver ses limites. "Il est à bout de souffle, concentré dans le centre, et saturé. Je crois plutôt aux bus en site propre", souligne Thomas Cazenave (LREM), dont la candidature fait grincer des dents une majorité municipale plutôt "Macron-compatible".
Bordeaux victime de son succès: la rengaine a vraiment pris corps avec la flambée de l'immobilier qui a accompagné la transformation de la ville et l'arrivée du LGV la reliant à Paris en deux petites heures.
"Ville bétonnée"
Ses 4.750 euros du m2, qui en font la troisième ville la plus chère de France (+25% en cinq ans), ont accentué la fracture avec le reste de l'agglomération, comme l'explosion d'AirBnb qui s'est nourri de l'afflux de touristes pour siphonner le marché locatif.
L'agglomération a soif de logements et des quartiers entiers sortent de terre. Le candidat écologiste Pierre Hurmic dénonce la "catastrophe urbanistique" des "Bassins à flots" en bord de Garonne, quartier "symbole de la ville bétonnée".
Bordeaux, "soi-disant +magnétique+, a été asphyxiée par une promotion immobilière débridée", regrette M. Hurmic, qui promet de ne plus céder 1 m2 de nature aux constructeurs.
Donné au coude à coude au 1er tour avec le favori Florian, il veut s'appuyer sur les 21,5% d'EELV aux Européennes pour faire basculer Bordeaux, où la droite est aux manettes depuis 1947.
Pour M. Florian, Bordeaux "a besoin de logements". "Il faut garder cette attractivité: une ville qui gagne des habitants, c'est une ville qui a une forme de bien-être. Mais il faut respecter un équilibre", disait-il peu après avoir endossé le costume de maire.
L'urbanisation a accentué la "minéralisation" et l'"artificialisation" des sols, aujourd'hui décriées. Le record de chaleur battu cet été (41,2 degrés) a servi de catalyseur: place aux "îlots de fraîcheur". Le maire a promis de planter 20.000 arbres d'ici 2025.
Pour Thomas Cazenave, en retrait derrière l'attelage Florian/Hurmic, la sécurité est aussi l'un des "enjeux importants" à Bordeaux.
Dans cette ville réputée tranquille, les vols et cambriolages ont bondi entre 2018 et 2019. Elle est aussi confrontée à une criminalité liée aux mineurs non accompagnés devenue "particulièrement prégnante", selon un responsable à la Direction départementale de la sécurité publique.
La hausse récente mais nette de cette petite délinquance a forcé les états-majors de campagne à peaufiner rapidement un argumentaire sur le sujet sécurité, le dernier né des problèmes bordelais.