Une configuration inédite
Nouveau Front populaire, camp présidentiel, Rassemblement national. Aucune des trois principales forces politiques élues lors des législatives anticipées ne dépasse les 200 sièges dans l'hémicycle, bien loin des 289 élus nécessaires à la majorité absolue malgré un avantage pour le bloc de gauche, arrivé premier.
Inédit ? Pas totalement. Lors de la dissolution de 1997, le camp présidentiel avait déjà perdu son pari, forçant Jacques Chirac à la cohabitation. En 1988, François Mitterrand n'avait lui obtenu qu'une majorité relative.
"Mais la nouveauté, c'est une telle absence de majorité absolue entre trois blocs distincts. Un bloc est exclu de toute participation au gouvernement – le RN -, et les deux autres blocs ne sont ni en mesure de gouverner seuls, ni désireux de gouverner ensemble", résume Jean-Philippe Derosier, constitutionnaliste et professeur à l'université de Lille.
Coalition ou "compromission" ?
Il faut donc "inventer une nouvelle culture politique", a affirmé Emmanuel Macron dans sa lettre aux Français mercredi, appelant à la recherche d'un "compromis" entre partis.
Problème, personne ne semble disposé à s'entendre sur les contours et la façon de constituer cette coalition. La faute à un rapport de force aussi inhabituel en France qu'il est répandu chez ses voisins européens rompus au parlementarisme.
"Nos partenaires européens s'étonnent, pour la plupart, de notre sidération et de notre paralysie" alors que face aux résultats, il leur paraît "assez peu sorcier" de former un gouvernement, remarque Mélanie Vogel, coprésidente du Parti vert européen et sénatrice des Français de l'étranger.
"En France, dès qu'on parle de compromis, cela devient une compromission. C'est la tradition bonapartiste, jacobine et verticale du pays", explique Dominique Rousseau, constitutionnaliste et professeur à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
La gauche peut-elle revendiquer Matignon ?
Le flou est renforcé par l'interprétation divergente des résultats, selon les camps. La gauche, notamment, martèle qu'elle a "gagné" et ne cesse de revendiquer Matignon.
A-t-elle raison ? La pratique a toujours permis à la première force élue aux législatives de soumettre au président son candidat pour le poste.
"Arithmétiquement, le bloc de gauche est le premier. La logique d'un régime démocratique et parlementaire, c'est que ce soit lui qui propose un Premier ministre", insiste Jean-Philippe Derosier.
Selon lui, le NFP a donc "raison" d'avancer ses arguments, mais "à la condition de faire preuve de souplesse dans son programme et sa réflexion, car le président serait fondé à s'opposer à un choix suscitant beaucoup d'hostilité, comme celui de Jean-Luc Mélenchon".
Dominique Rousseau n'a pas la même interprétation. "L'analyse d'Emmanuel Macron est correcte: comme il n'y a que des minorités, aucun Premier ministre ne s'impose", explique le constitutionnaliste. "C'est à la gauche de montrer au chef de l'Etat qu'elle est capable de construire un gouvernement qui ne soit pas renversé".
Pour Macron, la fin de la verticalité ?
Le chef de l'Etat aussi doit se faire à cette nouvelle ère, après sept années de majorité nette au Parlement, bien que relative depuis 2022.
"Emmanuel Macron se voit contraint d'effectuer un apprentissage accéléré du régime parlementaire. Tout chef d'Etat se doit, dans ces conditions, d'appeler les groupes parlementaires à dégager une coalition susceptible d'obtenir la confiance de l'Assemblée", détaille Dominique Rousseau, pour qui le président est "dans son rôle".
Mais en proposant les contours de la future coalition, l'articulant autour du "front républicain" contre le RN et semblant exclure La France insoumise au nom de "valeurs républicaines claires et partagées", va-t-il trop loin dans ses prérogatives ?
"Privé de légitimité après le vote de dimanche, le président doit être retranché à ses strictes prérogatives constitutionnelles. Il peut encourager les partis à se parler, mais en aucun cas il lui appartient de fixer lui-même la majorité qui doit émerger", regrette Jean-Philippe Derosier.
A ce stade, le Nouveau Front populaire peine à s'accorder sur un Premier ministre à soumettre au président. Quelle sera la réponse de ce dernier si la gauche propose un nom?