"Quand on sortira de la crise du Covid-19, la crise ne sera pas terminée" sur le marché du logement neuf, résume à l'AFP Nordine Hachemi, PDG de Kaufman & Broad, l'un des principaux promoteurs immobiliers français.
Vu les mesures drastiques pour faire face à la pandémie de coronavirus, le monde s'oriente vers une récession cette année, selon le Fonds monétaire international (FMI), et la France ne fera pas exception, a reconnu le gouvernement.
Dans ce contexte, éviter une crise du logement s'avère d'autant plus important qu'il représente une grande part dans les dépenses des ménages. Mais alors qu'il faut maintenir une offre solide de logements pour contenir les prix, le secteur redoute un blocage durable de la construction.
Il y a, d'abord, l'effet immédiat du strict confinement imposé depuis mi-mars aux Français pour éviter la propagation du virus. Même si les gens sont censés pouvoir sortir de chez eux pour aller travailler, l'essentiel des chantiers sont, de fait, arrêtés.
En ce début de semaine, 80% à 90% des chantiers sont gelés, selon la Fédération française du bâtiment (FFB). La mise en place de règles sanitaires de conduite devait favoriser leur reprise, mais elle se fait toujours attendre.
Mais c'est bien au-delà que le secteur s'inquiète, à cause d'une ordonnance prise la semaine dernière par le gouvernement dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire: elle gèle les procédures administratives le temps de l'état d'urgence prévu jusqu'à fin mai, puis une fois celui-ci levé, ajoute encore un délai d'un mois par rapport à ce qui était initialement prévu.
"C'est une catastrophe", se lamente M. Hachemi. "Avec cette ordonnance, c'est une crise du logement qui est en train de se préparer."
Crainte d'une paralysie des permis de construire
Dans l'ancien, les agents immobiliers redoutent que les transactions ne puissent aboutir pendant de longs mois.
Et dans le neuf, on voit se profiler une paralysie durable des permis de construire.
Les collectivités locales, en premier lieu les mairies, vont mettre plus de temps à les examiner. C'est autant de temps supplémentaire laissé aux opposants à un projet pour le contester.
"Ça a un impact très fort", regrette auprès de l'AFP Alexandra François-Cuxac, présidente de la fédération des promoteurs immobiliers FPI.
"La quasi-totalité des permis ne seront purgés de tout recours que début 2021", estime-t-elle, prenant en compte un probable engorgement des collectivités face à un afflux de demandes quand sera levé l'état d'urgence. "Ça neutralise l'activité pour quasiment tout 2020."
En commun avec d'autres organisations du secteur - dont l'Union sociale pour l'habitat (USH) qui fédère tout le logement social -, les promoteurs ont présenté plusieurs suggestions au gouvernement.
L'exécutif pourrait par exemple amender son ordonnance "en supprimant le mois ajouté à la durée de l'état d'urgence sanitaire ou en réduisant les délais de recours", proposent les organisations, parmi lesquelles figure aussi la principale fédération des constructeurs de maisons, celle des Constructeurs et Aménageurs (LCA).
Interrogé par l'AFP, le gouvernement, qui commençait enfin à entrevoir début 2020 un rebond de la construction de logements après une longue période de repli, a, de fait, bien conscience du problème. Il promet un "nouveau texte" pour compléter les ordonnances.
Même si ces blocages sont évités, restera la question de la demande. Combien de Français, dont beaucoup sont incapables de travailler depuis le début du confinement, pourront financer l'achat d'un logement neuf ces prochains mois?
Sur ce plan, deux géants du secteur viennent d'annoncer un soutien conséquent au logement neuf. La Caisse des Dépôts, bras financier de l'État, et Action Logement, organisme géré par le patronat et les syndicats, ont promis la semaine dernière de financer au total 50.000 logements ces 12 prochains mois.
Neuf organisations professionnelles du bâtiment alertent sur l'onde de choc à venir
Neuf organisations professionnelles de la filière construction, promotions et aménagement (UNSFA, USH, LCA-FFB, FPI, UNAM, CINOV, UNGE, UNTEC, SYNAMOME) dénoncent le décalage de l'instruction des autorisations d'urbanisme et ses conséquences catastrophiques pour toute la filière. Face à cette situation, elles proposent au Gouvernement de travailler sur cinq points :
- La modification de l'ordonnance concernée, pour réduire son impact calendaire (par exemple en supprimant le mois ajouté à la durée de l'état d'urgence sanitaire ou en réduisant les délais de recours des tiers et recours administratifs) ;
- Une continuité minimale de l'étude et de la délivrance des autorisations d'urbanisme dans les collectivités territoriales durant la période de confinement, en « temps masqué », en privilégiant la dématérialisation du dépôt des dossiers ; corrélativement, l'accélération de la dématérialisation des autorisations d'urbanisme, prévue pour 2022 dans les communes de plus de 3500 habitants ;
- Le renforcement des services instructeurs dès la sortie de crise sanitaire pour éviter le rallongement des délais d'étude et la demande de pièces complémentaires ;
- La prise en compte des difficultés de toute la filière par l'homologation inconditionnelle des demandes de chômage partiel, dégrèvement d'impôt et de report de charge ;
- La révision du mode d'attribution du fonds de solidarité pour les indépendants et artisans, le mode de comparaison du seul mois de mars n'étant pas pertinent eu égard à leurs délais de facturation et de paiement.