"C'est comme un jeu vidéo où on contrôle quelqu'un à distance, mais c'est surtout un vrai projet industriel", explique Frédéric Pedro, le président d'Expert Téléportation, une startup qui a conçu des lunettes connectées, avec caméra, micro et oreillettes intégrées.
L'opérateur chargé d'une réparation porte les lunettes, tandis qu'un expert, situé dans une autre région ou un autre pays, assiste aux manipulations sur un écran qui retransmet les images en direct.
La communication audio lui permet de guider l'opérateur, sans avoir à se rendre physiquement sur place. La startup, initialement spécialisée dans les jeux vidéos avant d'investir des terrains de jeux plus concrets, a convaincu des groupes tels que Technip, Valco et Veolia.
Sa technologie permet des économies de temps et d'argent, puisque l'expert n'a pas besoin de se déplacer. Elle facilite aussi la transmission des compétences techniques en continu.
Le cabinet français de conseil Wavestone considère la réalité augmentée comme l'un des trois piliers d'innovation de "l'industrie 4.0", ou "usines intelligentes".
Cette quatrième révolution industrielle, qui comprend aussi la robotique collaborative et "l'auto-adaptation des systèmes de production", constitue "une question de survie pour nos pôles de compétitivité tels que l'aérospatial, l'automobile, le ferroviaire", d'après un rapport publié par Wavestone en 2017.
Néophyte
Les grandes entreprises accélèrent leurs efforts pour mettre en oeuvre ces innovations.
"On a multiplié nos initiatives par dix en 2 ans" et les budgets continuent de croître, explique Franck Choplain, directeur de l'industrie numérique pour Thales.
Le groupe français spécialiste de l'électronique dans l'aérospatial et la défense est en train de mettre au point un système de calques virtuels, projetés en 3D sur les équipements mécaniques en cours de fabrication.
Et il a déjà déployé une application d'aide au montage des cartes électroniques qui donne aux techniciens les informations à chaque étape de la fabrication, projetées sur la table devant eux ou sur un écran.
"Les personnes peuvent se concentrer, ça leur évite de réfléchir à des choses sans valeur ajoutée", commente Franck Choplain.
"On s'aperçoit que même quelqu'un de néophyte, quand il est guidé, va plus vite que quelqu'un d'expérimenté, mais pas guidé. Et dans un meilleur confort".
"Ironman"
Bouygues construction utilise de son côté depuis plus d'un an l'application Ramby Outdoor, développée en interne, qui permet de visualiser sur place, à travers une tablette, des bâtiments avant même qu'ils ne soient construits.
"Cela change tout par rapport au plan, vous n'êtes plus dans le même état d'esprit, vous êtes capable de prendre des décisions de façon beaucoup plus éclairée", s'enthousiasme Marie-Luce Godinot, directrice générale adjointe de Bouygues construction, en charge de la transformation numérique.
Le groupe teste aussi des technologies qui déshabillent les murs. En cas de fuite sur un bâtiment neuf, par exemple, l'application superpose les schémas des réseaux sur le plafond et permet de voir où sont les tuyaux et les raccords.
"L'année dernière on a vu à peu près 600 startups (tous secteurs d'innovation confondus), on en a testé environ 80, et on en garde une poignée, entre 5 et 10", estime la directrice générale adjointe.
Longtemps mises en avant, les lunettes connectées, qui affichent des informations sur les verres, semblent en perte de vitesse dans l'industrie.
"Elles sont un peu perturbantes, ça génère des sujets de visions de près ou de loin", constate Marie-Luce Godinot, qui ajoute que Bouygues privilégie les écrans sur les manchons des ouvriers.
"On a remarqué que la réalité augmentée peut être extrêmement dangereuse car l'être humain n'est pas capable de se concentrer sur deux choses différentes", renchérit Frédéric Pedro d'Expert Téléportation.
Aujourd'hui les lunettes d'Expert Téléportation augmentent la réalité de l'opérateur essentiellement de façon auditive, pour lui laisser les mains et les yeux libres de voir et d'agir.