Dans le décor fastueux du Palais du Luxembourg, la vie parlementaire s'exerce au ralenti depuis le 9 juin: la dissolution a également entraîné l'ajournement de la quasi-totalité des travaux de la chambre haute, une coutume républicaine.
Mais les 348 sénateurs, sans crainte pour leur mandat au contraire des députés - le Sénat ne se dissout pas -, se tiennent prêts à reprendre leur mission au sein d'un Parlement totalement recomposé, avec une progression historique probable du Rassemblement national à l'Assemblée nationale.
"Quel que soit le scénario qui sortira le 7 juillet, le Sénat aura un rôle majeur: plus que jamais nous aurons besoin de cette deuxième chambre, de ce balancier stabilisateur des institutions", a récemment prévenu Gérard Larcher lors d'une réunion publique à Paris.
Chef d'une alliance majoritaire de la droite et du centre à la Haute assemblée, le ténor des Républicains a défendu depuis 2017 un rôle de "contre-pouvoir" à Emmanuel Macron, avec notamment de retentissantes missions de contrôle sur l'affaire Benalla ou le recours abusif aux cabinets de conseil par les ministères.
Verrou constitutionnel
La marge de manœuvre du Sénat est certes limitée: le gouvernement peut donner le dernier mot à l'Assemblée nationale sur ses projets de loi, après au moins deux lectures successives dans les deux chambres. Mais il existe une exception de taille: la chambre haute ne peut être contournée pour les réformes constitutionnelles.
Le Rassemblement national, qui base une large partie de son programme sur une modification du texte suprême, sur l'immigration notamment, pourrait ainsi être freiné en cas d'arrivée au pouvoir, même avec une majorité absolue au Palais Bourbon.
"Nous détenons le verrou constitutionnel et je peux vous assurer que le serrurier n'a nulle envie de donner la combinaison de ce verrou face à la folie des extrêmes", lance Gérard Larcher, qui s'oppose avec la même force au RN et à La France insoumise, tous deux quasiment absents à la chambre haute (le RN compte trois sénateurs, LFI aucun).
"La stabilité, qui a été la marque de fabrique du Sénat, doit être absolument préservée dans la période de grande turbulence qui nous attend", affirme aussi le chef des sénateurs socialistes Patrick Kanner à l'AFP, promettant "un bicamérisme qui fonctionnera à plein régime".
La gauche, qui compte une centaine de sénateurs, entend se faire entendre, surtout dans l'hypothèse d'une majorité du RN qui pourrait s'étendre à une partie de la droite républicaine.
"Eriger un rempart"
Car si le groupe LR du Sénat a voté unanimement contre un accord avec le RN, une petite poignée de ses sénateurs, interrogés après la dissolution, n'étaient pas farouchement opposés à l'hypothèse d'un accord de gouvernement avec le parti à la flamme.
Sans doute encore trop peu pour constituer un nouveau groupe, même si "ce sera l'épreuve de vérité", reconnaît M. Kanner.
Dans un courrier à Gérard Larcher, les trois présidents de groupe de gauche ont d'ailleurs affiché mardi leur volonté de voir le Sénat comme "l'un des remparts les plus solides au recul de notre État de droit".
"Vous serez de ceux qui auront érigé un rempart contre l'extrême droite, ou bien de ceux qui lui auront facilité l'accès vers le pouvoir", ont-ils lancé au président du Sénat, l'appelant à "s'engager clairement pour faire obstacle systématiquement à une victoire du RN".
Preuve de son importance, le puissant sénateur des Yvelines, très offensif envers Emmanuel Macron ces derniers jours, a été reçu par le président mardi, une rencontre purement "institutionnelle" et non "politique", a-t-on assuré dans son entourage.
Comme pour balayer l'hypothèse d'une alliance possible dans un potentiel "gouvernement d'union nationale" après le second tour ? Le nom de Gérard Larcher était déjà revenu avec insistance comme recours éventuel à Matignon avant les européennes, une option finalement rejetée par l'intéressé, défenseur d'une ligne "indépendante" et "sans compromission" pour Les Républicains.