Avec 550 km de digues dites "domaniales", les "levées", la vallée de la Loire est la région la plus concernée par ce transfert prévu dans la loi "Maptam" de 2014, qui a confié aux intercommunalités la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (gemapi).
"On a calculé qu'il faudrait investir minimum 350 millions d'euros sur 20 ans, rien que pour avoir un niveau normal de protection des digues à l'échelle du Val de Loire", explique Xavier Dupont, président DVG de la communauté de communes Touraine Ouest Val de Loire.
La loi prévoyait un délai de dix ans pendant lesquels l'Etat devait continuer à entretenir ses digues et assurer des travaux de mise en conformité avant le transfert. C'est le cas de Saint-Malo, où l'Etat a remis en état plusieurs centaines de brise-lames vieux de 200 ans qui protègent la digue du Sillon.
Mais en général, "très peu d'investissements ont été réalisés ces dernières années", souligne Oriane Cebile, de l'association Intercommunalités de France.
Un certain nombre d'élus pourraient même récupérer des ouvrages "en très mauvais état", prévient l'Association des maires de France (AMF), rappelant que les digues de Loire, stratégiques pour la protection des populations, ne supportent pas toutes des crues centennales.
La situation ne va pas sans inquiéter les élus. "L'Etat reste propriétaire mais nous confie toutes les responsabilités du propriétaire, le tout sans moyens financiers supplémentaires, y compris la responsabilité pénale s'il est acté qu'une inondation est la conséquence d'un mauvais entretien des digues", regrette Xavier Dupont.
Car l'Etat considère qu'il ne s'agit pas d'un transfert "de compétences" mais d'un simple "transfert de gestion" ne donnant donc lieu à aucune compensation financière ni aucun transfert de personnel.
100% en zone inondable
Pour financer les travaux, la loi renvoie sur la taxe "Gemapi", intégrée à la taxe foncière, que les intercommunalités peuvent lever depuis 2018. Mais pour les élus, cette taxe limitée à 40 euros par habitant n'est clairement pas dimensionnée pour couvrir des investissements importants, conforter les pieds de digues, surveiller les assauts de l'eau, etc.
Or certaines digues mesurent jusqu'à 8 mètres de haut et s'étendent sur des dizaines de kilomètres. Autrefois conçues pour permettre la navigation, elles protègent aujourd'hui "des populations, des zones d'activité, des entreprises", souligne Nicolas Camphuis, co-directeur du Centre européen de prévention des risques d'inondation (Cepri).
"La ville de Tours par exemple est quasiment à 100% en zone inondable, de même que Saint-Pierre-des-Corps, avec son noeud ferroviaire entre le Cher et la Loire", remarque-t-il.
Le niveau de la Loire est certes historiquement bas. "Mais avec le dérèglement climatique, on pourrait avoir des précipitations brutales, et elle pourrait monter en crue assez rapidement", affirme Xavier Dupont.
Plus au sud, le président de Carcassonne Agglo Régis Banquet redoute les violents orages, "plus fréquents aujourd'hui". "On ne se pose plus la question de savoir si ça va arriver mais quand", reconnaît l'élu socialiste, "prêt à prendre le transfert" mais "avec les moyens qui vont avec".
D'autres jugent la charge trop lourde pour les intercommunalités situées sur les grands fleuves, comme à Marmande, où passe la Garonne. "Le bassin versant de la Garonne représente une superficie de 55.000 km2, et lors de la dernière crue en 2021, Marmande a vu passer plus de 6.000 m3 d'eau par seconde", se souvient Jacques Bilirit (PS), président de Val de Garonne Agglomération.
Autre problème et non des moindres, l'Etat n'a pas recensé l'emplacement ni l'état de solidité de toutes ses digues. "Il y a des bouts de digues domaniales qui se baladent un peu partout, à Dunkerque ou en Savoie, ce qui fait qu'un certain nombre d'intercommunalités vont découvrir ce transfert automatique au 28 janvier 2024", redoute l'AMF.