Aux dernières élections européennes, 21% des agents de catégorie A (celle des cadres) ont glissé dans l'urne un bulletin RN et 8% un bulletin Reconquête, selon une note publiée cette semaine par ce spécialiste de la fonction publique.
Le chercheur a isolé les réponses de quelques milliers d'agents publics à une enquête menée auprès de quasi 12.000 personnes par le centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), Le Monde, Ipsos et deux centres de réflexion.
Le vote d'extrême droite chez les cadres du secteur public est inférieur à la moyenne nationale (31,4% pour le RN et 5,5% pour Reconquête), mais progresse rapidement.
Les personnels d'encadrement de la fonction publique n'étaient encore que 12% à choisir des candidats classés à la "droite radicale" (Marine Le Pen, Jacques Cheminade, François Asselineau, Eric Zemmour ou Nicolas Dupont-Aignan) au premier tour de l'élection présidentielle de 2017, et 20% en 2022.
"Habituellement, on avait toujours une présence forte du RN dans la fonction publique territoriale et la fonction publique hospitalière, beaucoup moins dans la fonction publique d'Etat", où les cadres sont les plus nombreux, rappelle M. Rouban à l'AFP.
"L'élément le plus nouveau, c'est quand même le gain que l'ensemble des forces d'extrême droite fait au sein de la fonction publique d'Etat", poursuit-il.
Pour le chercheur, ce sont principalement des anciens électeurs de la droite traditionnelle ou du centre qui basculent vers un vote plus radical, plutôt que ceux de gauche.
"Du côté du RN", ces nouveaux électeurs trouvent "un discours sur l'autorité de l'Etat", constate-t-il.
"Depuis 2022, on a vu se multiplier des actions violentes dans les écoles, des enseignants menacés ou agressés physiquement", comme le professeur de français Dominique Bernard, assassiné à Arras en octobre 2023. "Dans la police ou à l'hôpital, ce sont les mêmes problèmes", ce qui explique cette demande d'autorité.
"Sentiment d'abandon"
Chez certains hauts fonctionnaires, la promesse du RN de rétablir les corps diplomatique et préfectoral, supprimés par Emmanuel Macron, peut également séduire.
La haute fonction publique "est un univers très corporatif", souligne Luc Rouban. "Ils se sentent précarisés, mis en danger" par la disparition de ces prestigieux grands corps de l'Etat.
Enfin, dans l'enseignement (les professeurs appartiennent aussi à la catégorie A), le RN prospère sur un "sentiment très général d'une forme d'abandon".
"Il y a eu dans le milieu scolaire cette idée que la hiérarchie les a plus ou moins laissés tomber", développe M. Rouban.
L'enseignement reste néanmoins un "bastion de gauche", avec plus de 40% des professeurs qui se disent prêts à voter pour un candidat du Nouveau Front populaire au premier tour des élections législatives.
A l'inverse, les policiers et militaires sont 51% à affirmer qu'ils voteront RN dimanche. 8% choisiront les candidats LR soutenus par le parti à la flamme et 3%, ceux de Reconquête.
Pris dans leur ensemble, les 5,7 millions d'agents publics restent un peu moins enclins que les salariés du secteur privé à vouloir voter pour un mouvement d'extrême droite ou de droite radicale (RN, LR rallié à RN ou Reconquête).
Ils sont 34% dans la fonction publique d'Etat, 35% dans les collectivités et 38% dans les hôpitaux, contre 41% dans le privé.
"Il y a peut-être aussi de la xénophobie ou du racisme" dans le choix électoral de plus en plus radical des agents publics, "mais je ne pense pas que ce soit le moteur principal de ce type de vote", commente Luc Rouban. "Je le vois beaucoup plus dans des questions d'abandon professionnel, de conditions de travail, d'injonctions contradictoires" de la hiérarchie, énumère-t-il.
Même si le RN promet de supprimer les agences régionales de santé (ARS) ou de tailler dans les postes administratifs à l'hôpital, son discours général est "beaucoup plus favorable aux services publics", loin du "discours néolibéral de Jean-Marie Le Pen" sur la bureaucratie, relève-t-il.