Le gaz russe représente, en effet, 20 % de la consommation de gaz française, 50 % de celle allemande et 40 % de celle européenne. Or, entre le printemps 2020 et fin février, le prix de marché du gaz a déjà été multiplié par 3 ; il devrait croître encore, compte tenu des légitimes sanctions prises par les États européens à l’encontre de la Russie, mais aussi des éventuelles mesures de rétorsion que pourrait envisager cette dernière.
Dans ce contexte, très perturbé pour notre sécurité d’approvisionnement énergétique, la commission des affaires économiques du Sénat plaide résolument pour 5 mesures d’urgence :
- Le principe du « coût marginal » régissant le marché européen de l’électricité, qui lie dans les faits le prix de l’électricité à celui du gaz, doit être révisé sans délai, faute de quoi la flambée du gaz fossile russe se répercutera inévitablement sur celle de notre électricité nucléaire décarbonée. Or, l’énergie nucléaire, qui constitue le pilier de notre sécurité d’approvisionnement, doit être protégée comme telle, comme l’ont récemment rappelé les rapporteurs de la mission d’information sur l’énergie et l’hydrogène nucléaires de la commission Daniel Gremillet, Jean-Pierre Moga et Jean-Jacques Michau.
- L’approvisionnement en gaz doit être diversifié. Pour pallier la suspension du gazoduc Nord Stream 2, il faut accélérer la mise en service de terminaux méthaniers, pouvant permettre des importations de gaz naturel liquéfié (GNL), et reconstituer des stocks stratégiques pour les prochains hivers, les obligations de stockage devant être confortées, appliquées et contrôlées en France comme en Europe.
- La décarbonation du gaz doit être poursuivie, en substituant une production nationale de biogaz aux importations de gaz fossile russes. La France peut et doit agir en ce sens, car le biogaz ne représente que 0,44 % de sa consommation de gaz. Pire, la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), publiée par le Gouvernement en 2020, ne respecte pas la loi « Énergie-Climat », adoptée par le Parlement en 2019 : la première vise un objectif entre 7 et 10 % de biogaz d’ici 2030, contre au moins 10 % pour la seconde ! Or, on dénombrait 1 164 projets d’injection de biogaz en attente, à l’automne dernier ! Il faut donc réviser la PPE et conforter les dispositifs de soutien pour débloquer ces projets salutaires. Nos agriculteurs ont un rôle clé à jouer pour favoriser cette production de biogaz, à travers leurs projets de méthanisation, qui doivent être facilités règlementairement et financièrement.
- Le « bouclier tarifaire » doit être consolidé. D’une part, les tarifs réglementés de vente de gaz (TRVG) ne sont bloqués que jusqu’au 30 juin 2022 et disparaîtront le 1er juillet 2023. Ils ne couvrent, d’ailleurs, que 7,5 % de la consommation de gaz française ! D’autre part, la baisse de taxe intérieure sur la consommation de gaz naturel (TICGN) ne vise que les particuliers, et non les professionnels. Enfin, les pertes de recettes dues au blocage des TRVG seront compensées aux fournisseurs, par le biais des charges de service public de l’énergie (CSPE), ce qui augure de fortes hausses de prix pour les consommateurs. Il faut donc recalibrer le « bouclier tarifaire » à l’aune de la crise gazière, en offrant une solution globale et pérenne à tous les consommateurs (ménages, entreprises et collectivités territoriales).
- Les textes européens en cours doivent être ajustés. Tout d’abord, si le gaz bas-carbone a été intégré à la « taxonomie verte », il faut conditionner cette intégration, non seulement à un seuil d’émission, déjà prévu, mais aussi à un critère de provenance. De plus, le paquet « Ajustement à l’objectif 55 » doit pleinement favoriser le biogaz – dans la directive relative aux énergies renouvelables – et le GNL – dans le règlement afférent aux infrastructures de recharge –, comme l’ont récemment proposé les rapporteurs du volet « Énergie » de ce paquet pour la commission Daniel Gremillet et Dominique Estrosi Sassone. Enfin, le paquet « Gazier » doit être mobilisé à plein, pour mieux réguler le marché européen du gaz, en veillant à promouvoir sa décarbonation (par le biogaz et l’hydrogène), consolider son stockage et garantir sa provenance.
Pour Sophie Primas : « La guerre en Ukraine a rappelé avec gravité le risque de dépendance énergétique de la France et de l’Europe. Pour conjurer ce risque, il nous faut tout mettre en œuvre afin de réduire la part des importations de gaz issus de pays producteurs, tels que la Russie, manifestement hostiles aux économies et aux valeurs des démocraties libérales européennes : c’est une nécessité économique et une exigence morale ! »
Pour Daniel Gremillet : « Tous les leviers doivent être actionnés pour réduire la dépendance énergétique de la France et de l’Europe. La réforme du principe du “coût marginal”, pour laquelle nous avons plaidé dans notre récent rapport sur la sécurité d’approvisionnement électrique, doit mettre notre électricité nucléaire décarbonée à l’abri de la grave crise gazière. Au-delà, il faut substituer une production locale de biogaz aux importations de gaz fossile, comme nous l’avons demandé dans nos récents travaux sur le volet “Énergie” du paquet “Ajustement à l’objectif 55”. Enfin, nous devons consolider le “bouclier tarifaire”, permettre le recours au GNL et reconstituer les stockages stratégiques. Il y a urgence à agir ! »