S'étirant le long de la rue de la mairie, Saint-Ouen-en-Brie est un village à maisons: aucun bâtiment, si ce n'est l'église, ne dépasse un étage. "Un écrin de verdure entre les bois de Villefermoy et de Bombon", décrit le site de ce village de Seine-et-Marne.
Malgré ses quatre mandats de maire, Yannick Guillo dit pourtant son inquiétude pour l'avenir. En cause: l'objectif de "zéro artificialisation nette" des sols, objet d'une proposition de loi sénatoriale examinée ce mercredi à l'Assemblée nationale.
Issu de la loi Climat de 2019, le ZAN vise à diviser par deux, d'ici à 2031, le rythme de consommation d'espaces naturels et agricoles par rapport à la décennie précédente, quand 250.000 ha ont été bétonnés. Le but étant de stopper le bétonnage d'ici 2050, à moins de "renaturer" des surfaces équivalentes.
Dans une rue goudronnée en bordure de forêt, Yannick Guillo désigne deux lampadaires face à une prairie. C'est là que la préfecture a récemment refusé de délivrer le permis de construire d'une maison.
"Quelqu'un, dans un bureau, a décidé que cette parcelle était en dehors de la zone à urbaniser alors qu'on a fait venir tous les réseaux et qu'on ne demandait pas à aller plus loin", vitupère l'élu rural, redoutant une "mise sous cloche" du village.
Propriétaire du terrain, Fabienne Barrault a dû renoncer à la vente. "On interdit de construire au bord d'une route sur ce qui n'est même pas un champ, mais à côté de ça on +sururbanise+ le village", remarque cette habitante.
"Pas Hong Kong"
En matière de préservation des sols, dont l'artificialisation est une des principales causes d'effondrement de la biodiversité, Saint-Ouen fait pourtant partie des communes les plus vertueuses, à en croire le maire.
"On travaille depuis plus de vingt ans à un accroissement raisonné, avec des extensions contiguës, mais c'est nous qui allons être le plus pénalisés par les règles de calcul du ZAN car nous n'avons pas cherché à nous étaler", résume-t-il. A contrario, les "collègues" qui ont laissé libre cours "au mitage", pourront continuer à "remplir leurs dents creuses", donc à accueillir de nouveaux habitants.
Après de gros mouvements de population dans les années 2000, le village "fidélise" ses habitants et voit débarquer depuis la pandémie des ménages parisiens au fort pouvoir d'achat. "On a vu exploser les prix de l'immobilier, ce qui empêche beaucoup de jeunes de s'installer. On va finir par fermer des classes", soupire-t-il.
Et le ZAN ne va pas, selon lui, améliorer la situation. "On va avoir une sclérose de l'offre, nos communes vont être saturées", répète-t-il.
La seule possibilité de continuer à faire vivre les villages à l'ère du ZAN serait de "monter en hauteur", mais il y a un risque de "défigurer les petites communes", prévient le maire. "On ne construit pas Hong Kong, on est à Saint-Ouen-en-Brie. Il faut qu'il y ait de l'air, il faut qu'il y ait du vert".
Marie-France Pierre préside l'association "Tous anchoeurs" qui organise régulièrement des événements festifs. "Je suis pour la défense des terres agricoles", assure-t-elle, mais "il faut trouver un juste équilibre car s'il n'y a plus de constructions, il n'y a plus d'enfants, plus d'école".
"On a besoin que les villages continuent à grandir un peu pour conserver nos infrastructures", abonde Arnaud Grangé, menuisier. "Avant on avait des beaux terrains de plus de 1.000 m2. Aujourd'hui les gens en revendent la moitié pour construire deux pavillons dessus, on fait des lotissements qui s'apparentent à du HLM", regrette-t-il.
Pour répondre aux inquiétudes des élus ruraux, les sénateurs ont garanti une "surface minimale de développement communale" d'un hectare.
Plus globalement, c'est l'aspect "arithmétique et général" de la loi qui crispe les élus, même si aucun ne remet en cause ses objectifs environnementaux. "On se retrouve en Seine-et-Marne avec la même réglementation que dans la Creuse", regrette M. Guillo.