L'enjeu: faire repartir l'économie sans déclencher une deuxième flambée de l'épidémie dont la page n'est pas tournée. Lundi soir, le bilan du coronavirus en France atteignait 23.293 décès, dont 437 de plus en 24 heures. En revanche le nombre de patients en réanimation continue de décroître.
C'est à 15H00 que le Premier ministre, Édouard Philippe, a présenté devant l'Assemblée nationale les grandes règles à appliquer dans six domaines-clés: écoles, commerces, entreprises, tests et isolement des malades, masques et rassemblements.
Quinze jours ont passé depuis le discours du président Emmanuel Macron: le délai demandé est tenu.
Le projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire de deux mois, jusqu'au 24 juillet, sera par ailleurs présenté samedi en Conseil des ministres et examiné la semaine prochaine au Parlement. Cette loi permet de prendre par décret des mesures -et des sanctions- organisant le confinement, restreindre la circulation et limiter les rassemblements...
A moins de deux semaines du Jour J, les arbitrages de cette stratégie tant attendue ont fait l'objet de six heures de réunion non stop à l'Élysée lundi avec autour du président, le Premier ministre, le pilote du plan Jean Castex, les ministres Olivier Véran (Santé) et Jean-Michel Blanquer (Éducation).
"Réversibilité, adaptabilité"
Parmi les annonces, on retiendra le retour des élèves à l'école sur la base du volontariat, l'adaptation locale sous la houlette des maires, la réouverture des commerces sauf les cafés-restaurants et le masque obligatoire dans les transports en commun.
Le plan portera d'abord sur les trois prochaines semaines de mai, avec une clause de revoyure début juin, dans un esprit "ultra-pragmatique", précise un proche de l'exécutif. Avec trois grands principes: "progressivité, réversibilité et adaptabilité".
L'objectif est de "protéger les Français dans un contexte où nous devons vivre avec le virus. D'où (...) des règles allant du 11 mai à la fin du mois, suivies d'une nouvelle période à partir de début juin", détaille cette source.
Après le discours d'Édouard Philippe, le plan fera l'objet d'un débat de 2 heures 30 avec les députés, dont 75 pourront être physiquement présents, puis sera soumis au vote.
Un vote qui sera "probablement l'une des décisions les plus lourdes qu'un parlementaire aura eues à prendre depuis la Seconde guerre mondiale", selon le dirigeant PS, Olivier Faure. Mardi il a exhorté le gouvernement à ne pas "jouer à la roulette russe le déconfinement". "Si on n'est pas prêt, on décale", a-t-il dit.
La majorité présidentielle risque d'être seule à voter le plan, fustigé d'avance par les oppositions de droite comme de gauche qui découvrent les mesures prévues en même temps que le reste des Français et dénoncent un vote sous pression après avoir réclamé en vain 24 heures de réflexion supplémentaires.
A cet égard, répondant aux éditoriaux faisant état de dissensions au sommet de l'Etat entre Matignon et l'Élysée, Emmanuel Macron a fustigé mardi ceux qui "tentent de diviser" le binôme: "L'ensemble de l'exécutif est pleinement aligné dans cette crise" a-t-il assuré lors du Conseil des ministres, selon des sources concordantes.
Sur le fond, LR, LFI et le PS critiquent notamment le retour des élèves à l'école sur la base du volontariat. Et s'interrogent sur la logistique: y aura-t-il assez de masques le 11 mai? De tests ? Comment seront isolés les malades ?
Pour répondre rapidement aux besoins en masques, dont la pénurie et surtout la gestion constituera le grand raté de l'exécutif dans cette crise, la secrétaire d'Etat à l'Economie, Agnès Pannier-Runacher, a annoncé mardi jusqu'à 40 millions d'euros dédiés à la fabrication de nouveaux matériaux: ils permettront, selon elle, "d'accroître et sécuriser" la production nationale.
Dès fin avril, la France devrait disposer de plus de 26 millions de masques grand public par semaine, dont près la moitié produits localement, a promis Bercy. Pharmacies et buralistes seront autorisés à les vendre.
Maintenir le télétravail partout ou c'est possible
Le Premier ministre a demandé "avec insistance" aux entreprises de maintenir le télétravail "partout où c'est possible, au moins dans les trois prochaines semaines", afin de limiter l'affluence dans les transports et sur les lieux de travail.
"Personne n'en ignore les contraintes mais celui-ci doit se poursuivre pour limiter le recours aux transports publics et pour limiter plus globalement les contacts", a plaidé Edouard Philippe en présentant son plan de déconfinement à l'Assemblée nationale. Sur le télétravail, il n'y a pas "un avant et un après 11 mai", a-t-il affirmé.
Dans les cas où le télétravail n'est pas possible, le Premier ministre a encouragé "la pratique des horaires décalés dans l'entreprise". "Elle étalera les flux de salariés dans les transports et diminuera la présence simultanée des salariés dans un même espace de travail", a-t-il souligné.
Edouard Philippe a également indiqué que les 60 guides métiers élaborés par les fédérations professionnelles et le ministère du Travail pour accompagner les réorganisations nécessaires au sein des entreprises devront être "prêts pour le 11 mai", 33 de ces guides étant déjà disponibles.
Il a appelé les entreprises à porter "une attention particulière aux emplois du temps, aux gestes barrières, à l'aménagement des espaces de travail" et à recourir au port du masque "dès lors que les règles de distanciation ne pourront être garanties".
Ces sujets liés à la santé et à la sécurité des salariés doivent faire l'objet d'une réunion avec les organisations syndicales et patronales jeudi.
Enfin, "le dispositif d'activité partielle, qui est un des plus généreux d'Europe, restera en place jusqu'au 1er juin", a annoncé le Premier ministre.
"Il nous faudra ensuite l'adapter progressivement, afin d'accompagner la reprise d'activité si l'épidémie est maîtrisée", a-t-il poursuivi, assurant vouloir continuer "à protéger les personnes vulnérables et les secteurs professionnels qui demeureraient fermés".
Le chômage partiel, qui permet aux salariés de toucher 84% de leur rémunération nette, concerne actuellement 10,8 millions de salariés, soit plus d'un salarié du secteur privé sur deux.
Défiance persistante
Des syndicats d'enseignants et des maires jugent le délai trop court pour appliquer aux écoles les règles très contraignantes préconisées par le Conseil scientifique.
Des psychologues alertent également sur l'impact de la situation sur les petits. "Les enfants sont les grands oubliés, très souvent leur souffrance psychique est banalisée", a affirmé mardi la psychothérapeute Hélène Romano sur France inter.
D'une manière générale, les médecins et les psychologues s'inquiètent des troubles anxieux, dépression et décompressions liés au confinement, même après sa levée partielle.
Autre point litigieux, le projet d'application de traçage des contacts des porteurs du virus, "StopCovid": contestée jusque dans les rangs de la majorité, cette application risque surtout de ne jamais être prête à temps, selon des parlementaires LREM.
Grâce à sa confortable majorité, le vote ne devrait être pour le gouvernement qu'une formalité. Aussi, dès mercredi, le Premier ministre a prévu de présenter son plan aux élus locaux et aux préfets, puis aux partenaires sociaux probablement jeudi.
Cependant, le climat de défiance persiste chez les Français, dont une majorité ne fait pas confiance à l'exécutif pour piloter le déconfinement. L'indice de confiance des ménages a par ailleurs subi en avril une chute historique, selon l'Insee.
Rare lueur d'espoir dans la crise: un médicament, l'immuno-modulateur tocilizumab, a montré son efficacité pour prévenir les formes graves de pneumonies du Covid-19, selon une étude française encore non publiée révélée mercredi par l'AP-HP.