Louis du Merle en sait quelque chose. Devenu jeune propriétaire accédant à Issy-les-Moulineaux, près de Paris, en 2019, il attend avec impatience le démarrage des travaux dans son immeuble des années 70 de mauvaise facture dont le chauffage collectif est au fioul et passablement obsolète. Quatre étages aujourd'hui, huit demain : le permis de construire a été obtenu en 2022.
"Si ça réussit, on va démontrer que même une copro pas jojo peut construire un bâtiment performant énergétiquement", imagine-t-il. Fenêtres, isolation par l'extérieur, chaufferie, porte d'entrée, ventilation, tout sera rénové et un ascenseur posé.
"Une belle aventure expérimentale", dit-il, mais aussi un coût de 421.000 euros pour la copropriété, entièrement autofinancé par la vente à un promoteur du droit à construire 500 m2 de nouveaux logements en surélévation.
"C'est un exemple très intéressant où l'on va créer six nouveaux logements, tout en restant sur une petite unité, c'est ce qu'on appelle de la densification douce, et faire passer un bâtiment passoire thermique à une étiquette C", explique l'architecte Didier Mignery, dont l'agence UpFactor accompagne le projet.
Touche contemporaine
Quelque 5,2 millions de logements, soit 17% du parc, ont un mauvais diagnostic de performance énergétique F ou G, sur une échelle allant de A à G, selon l'Observatoire national de la rénovation énergétique.
"On ne peut pas tout surélever, heureusement", ajoute M. Mignery, mais "le potentiel est d'environ 10% des bâtiments existants". Tout dépend du plan local d'urbanisme, de l'année et la typologie de construction, des réglementations sismiques et de la possibilité de trouver des promoteurs qui ont tendance à venir à reculons, explique-t-il.
"Ca ne résoudra pas la crise du logement ou de la rénovation énergétique mais ça y contribue. Cela permettrait de traiter 85% des besoins en construction de logements pour les dix prochaines années, c'est considérable et c'est une autre façon de réfléchir pour les élus", dit-il.
Evaluée entre 125 et 300 milliards d'euros, la réhabilitation énergétique des bâtiments avance trop lentement en France, relevait en novembre le Conseil économique et social (CESE), en recommandant la surélévation parmi les solutions à activer.
Esthétiquement, ajouter des étages peut apporter une touche contemporaine ou être invisible. Techniquement, cela peut même renforcer l'immeuble, assure l'architecte Jean-Thomas Finateu : "On enlève en poids en retirant l'ancien toit, on construit un nouveau plancher portant l'étage supérieur et on a un chainage béton autour sur lequel le poids se répartit".
Martingale
Financièrement, c'est la martingale.
"Ce n'est pas nouveau, ça fait partie de l'évolution naturelle des villes mais cela permet de lever de l'argent pour rénover", souligne l'architecte François Pelegrin, qui parle de "trésor caché" mais prévient : "C'est très long et il faut beaucoup de pugnacité".
Son livre publié en 2021, "Le bonheur est sur le toit", est truffé d'exemples de projets bloqués par le recours d'un copropriétaire vivant au dernier étage ou par une mairie.
"Il faut énormément de temps et d'argent, beaucoup de pédagogie dans les copropriétés et il y a des freins réglementaires en termes d'urbanisme", abonde Eli Ben Sadoun, directeur commercial du promoteur spécialisé L'Atelier parisien de surélévation qui a livré deux réalisations depuis sa création en 2015. La société revendique une cinquantaine de projets en cours.
Dans le 19e arrondissement de Paris, elle termine la rénovation du n°5 rue du Dr Potain. Trois étages ont été ajoutés à cet immeuble de 1910 qui en comptait six, et six appartements mis en vente, à des tarifs élevés pour le quartier, plus de 10.000 euros le m2 justifiés par une vue sur la Tour Eiffel.
Double-vitrages, chaufferie neuve, façades isolées par l'extérieur sur toute la hauteur: rue Potain, le charme de l'ancien n'a pas complètement disparu, ni certains inconvénients comme l'exiguïté des logements, mais l'immeuble s'est offert un lifting, et même un ascenseur.
"C'était une méga-passoire thermique. On a fait tous les travaux pour zéro euro, ça aurait été bête de dire non !", se félicite Patrice Petriarte, président du conseil syndical.
Même si le chantier, débuté en 2020, joue les prolongations, les économies mensuelles de chauffage sont déjà monumentales : "On est passé de 150 à 45 euros".