Le président Joko Widodo a annoncé fin août que le centre politique du plus grand pays Asie du Sud-Est serait transféré à près de 2.000 km vers l'est dans une nouvelle cité modèle, afin d'alléger la pression sur l'île de Java, la plus densément peuplée de l'archipel.
Jakarta, une conurbation de près de 30 millions d'habitants, est située sur une zone à risque sismique, suffoque dans la pollution et est souvent paralysée par des embouteillages monstres.
Pire encore, elle est menacée par la montée des eaux. Un tiers de la ville pourrait être submergé d'ici 2050, selon des experts environnementaux. Outre la montée du niveau de la mer due au réchauffement climatique, la capitale est fragilisée par le fait qu'une bonne partie des habitants n'a pas de réseau d'adduction d'eau et puise dans les nappes phréatiques ce qui entraîne l'affaissement de quartiers entiers.
La construction d'une nouvelle capitale dans l'est de l'île de Bornéo -- dont la localisation exacte n'a pas encore été dévoilée - devrait débuter l'an prochain et le déménagement de quelque 1,5 million de fonctionnaires est prévu à partie de 2024. Le coût de l'ensemble du projet est estimé à 466.000 milliards de roupies (33 milliards de dollars).
Kalimantan, la partie indonésienne de l'île de Bornéo, également partagée au nord avec la Malaisie et Brunei, abrite aujourd'hui des forêts primaires et est l'un des rares habitats des orangs-outans, des primates menacés.
Les activités minières et les plantations d'huile de palme ont déjà contribué à grignoter la forêt de Bornéo et menacent l'habitat de plusieurs espèces protégées. Une situation qui pourrait s'aggraver si la nouvelle capitale est construite à côté d'une zone protégée, soulignent les associations de protection de l'environnement.
Optimisme mesuré
"L'est de Kalimantan fait déjà face une forte pression environnementale", a souligné Zenzi Suhadi, porte-parole du réseau indonésien pour la protection de l'environnement WALHI.
"Il y a déjà des centaines de mines et de plantations". Avec la nouvelle capitale, "quand la zone sera sous tension est-ce qu'elles vont déménager ailleurs?", s'interroge-t-il.
Les représentants des populations autochtones ont montré un optimisme mesuré. Le projet pourrait aider certaines populations marginalisées en stimulant l'économie de la région de 20 millions d'habitants, une petite fraction de la population de cet archipel de 260 millions d'habitants.
Mais il y a aussi beaucoup d'appréhensions, reconnaît Yulius Yohanes, un universitaire et chef d'une communauté autochtone dayake: "les Dayaks sont inquiets de l'état des forêts, puisque nous avons une connexion profonde avec elles".
Le gouvernement indonésien a promis d'investir des milliards de dollars pour résoudre les problèmes de Jakarta et assuré que les forêts en territoire protégé ne seraient pas affectées par la nouvelle capitale.
Joko Widodo a décrété récemment un moratoire sur les nouveaux permis de déboisement en vue d'établir des plantations ou pour exploiter le bois dans les forêts primaire.
"Mais il y a toujours un risque que les forêts primaires soient affectées", estime Zenzi Suhadi.
L'Indonésie doit déployer des milliers de personnes pour combattre les feux de forêt qui anéantissent chaque année des pans entiers de forêts sur les îles de Bornéo et Sumatra et produisent des fumées toxiques.
Les nuages géants de fumée dus aux feux ont causé en 2015 des tensions diplomatiques avec les pays voisins, la Malaisie et Singapour, et pourraient représenter un obstacle majeur.
Pour l'urbaniste Nirwono Joga "le projet de déménager la capitale devrait être annulé si le gouvernement ne peut pas résoudre la question de ces feux".
A Jakarta, le projet de déménagement de la capitale surpeuplée a été aussi accueilli avec scepticisme par nombre d'habitants.
Quelque 95% des résidents interrogés dans un récent sondage se sont prononcés contre le déménagement. Et sur les réseaux sociaux certains ont suggéré pour la future capitale les noms de "Jokograd" ou "Saint-Jokobourg", ironisant sur les ambitions de leur président.