Exploiter les données pour optimiser les bâtiments
« La partie visible du BIM qui fait "whaou !", c'est la 3D ; mais le sujet, c'est la base de données », précise David Ernest, Directeur Développement & Innovation chez Vinci Facilities. Il poursuit : « Le véritable usage du BIM, ce n'est pas la conception ou la construction, c'est l'exploitation : c'est là que se retrouvent les coûts et la valeur d'un bâtiment. »
Son propos est en phase avec l'avis exprimé par Constance de Batz, Directrice des opérations chez MBAcity : « Tout ce qui a été mis en place ces dernières années en matière de numérisation de la conception-réalisation va servir dans les années à venir. Il est important de s'investir dans cette deuxième phase du BIM, en exploitation et maintenance, car 75 % des coûts d'un bâtiment portent sur l'exploitation. Des études ont montré que l'on pourrait gagner 25 % en maintenance en exploitant le BIM.
Définir les besoins
« Le BIM nous intéresse pour gérer les bâtiments en exploitation », affirme Gabrielle Millan, Directeur de la Maîtrise d'ouvrage chez Allianz Real Estate qui gère un patrimoine de 200 immeubles en France. « Nous profitons du départ d'un locataire pour implanter le BIM lors des opérations de rénovation-restructuration de l'immeuble. » Baptisé Signature, ce projet global de déploiement du digital sur les immeubles a pour vocation de gérer les communications, le confort, les usages ; en retour, il fait remonter des informations des immeubles. « Nous allons utiliser la maquette numérique pour héberger de l'information, l'objectif étant de créer une data-room pour chaque bâtiment afin d'y recueillir les informations disponibles pour développer du service pour les occupants. En interne, nous disposons des informations d'informations élémentaires, comme les baux de chaque niveau d'immeuble… Le BIM devient à ce titre un outil de transformation digitale des métiers. »
François Caumont, Directeur Patrimoine et Logistique au sein de l'Université de Caen, présente une expérience riche depuis les premiers pas du BIM dans son service, en 2014. S'il considère cette transition à la gestion numérique du patrimoine comme inéluctable, il a cependant développé une approche précise et prudente. Elle repose sur :
- un programme de définition des besoins établi en 2014,
- la rédaction dès 2015 d'un plan de charge sur 15 ans – avec les tâches et les budgets affectés,
- la création en 2016 d'un « groupe pilote » dédié à gestion en BIM du patrimoine,
- puis, depuis 2018, à une préfiguration des méthodes BIM sur deux bâtiments – l'un tertiaire, l'autre de recherche.
Les résultats seront audités en 2021. Ce retour d'expérience doit permettre de définir les priorités du développement BIM pour l'exploitation des bâtiments avant d'étendre la démarche à l'ensemble du campus ; celui-ci compte 17 sites sur 118,23 ha, soit 97 bâtiments totalisant 285 000 m² exploités.
D'ores et déjà, selon François Caumont, passer au BIM Exploitation Maintenance repose sur une conduite du changement : « Nous sortons de notre périmètre de confort ! ». À ce titre, il souligne que la signature, en 2018, de la charte "Objectif BIM 2022" par la présidence de l'Université a constitué « un portage politique et manifesté la volonté de l'établissement de rentrer dans un management d'exploitation maintenance vertueux. »
Retenir les bons outils
Quels sont les outils à disposition de l'exploitation-maintenance ? « Nous avons deux types de données dans une maquette numérique, explique David Ernest : des données statiques qui appartiennent au propriétaire sur bâtiment, et des données dynamiques qui appartiennent à l'utilisateur du bâtiment. » Vinci Facilities a rédigé une charte réglementant l'exploitation de la maquette numérique. L'utilisateur ne partage pas forcément ces données avec le propriétaire ! C'est un sujet à préciser dans la rédaction des annexes aux baux numériques.
Constance de Batz répond sur l'utilisation rationnelle des informations : « La GTB fournit des points de mesure en mode dynamique, la GMAO proposera le planning de changement d'équipements à un instant t et la maquette numérique géolocalisera ces données dans le bâtiment. » Elle poursuit : « Le challenge est de faire communiquer ces systèmes différents. Cette difficulté trouve aujourd'hui sa solution avec le BOS, le Building Opérating System, dont l'intérêt central est de pouvoir connecter ces trois systèmes afin de lire les données de manière dynamique pour fournir un référentiel commun, une information centralisée et mise à jour. »
David Ernest souligne l'importance stratégique de la maîtrise de ce savoir-faire pour optimiser les ouvrages : « Plus ont accède aux données d'usage, plus on accède aux données de valeur. Le service de gestion BIM de l'exploitation et de la maintenance va créer cette valeur. »
Gabrielle Millan indique qu'Allianz Real Estate met actuellement en place ces BOS, Building Operating System, pour récupérer des informations d'usage sur les immeubles. « Il devient ainsi possible d'utiliser le modèle BIM pour visualiser des données par graphiques pour comprendre l'utilisation des immeubles sur le long terme. L'objectif est d'effectuer des actions de gestion. » Reste le délai de paramétrage et d'interopérabilité entre maquette, GMAO et GTB… « Cette phase est encore délicate et longue, souligne Constance de Batz. La maîtrise de l'interopérabilité produirait un gain de l'ordre 2,3 €/m².an. »
Le BIM, pour les ouvrages existants
François Caumont révèle que les premières actions sur le patrimoine de l'Université de Caen produit déjà des résultats tangibles. « Cette démarche qualitative et globale de la gestion de notre documentation a permis de fiabiliser nos surfaces : nous avons une connaissance à 100 % de nos actifs patrimoniaux et fonciers. » Ce nouveau mode de gestion a déjà permis une optimisation des surfaces qui s'est traduite par des locations aux autres administrations locales, voire la création de foncières pour gérer ces espaces. « Une réalité qui n'était pas initialement envisagée par l'Université de Caen, et qui se traduira par de nouveaux revenus », reconnaît François Caumont.
« Le BIM est-il réservé aux projets neufs ? » interroge David Ernest. « L'existant est le grand projet devant nous. Le problème est celui de l'investissement pour l'amorçage du projet pour en tirer la valeur. » Il donne quelques pistes méthodologiques : « Il faut exploiter les données que l'ona déjà : des plans en 2D, la GMAO, la GTB, les plans de sécurité… Les bâtiments fourmillent de données de patrimoine qui d'ailleurs représentent un coût pour les maîtres d'ouvrage qui procèdent déjà à leur maintenance. Ensuite, on réalise une détection de "clashs" dans ces documents, pour les mettre en cohérence. »
Deuxième temps : « On compare les documents à la vraie vie du bâtiment. Ce recollement d'informations sera très important pour la suite du travail, car – de l'avis même des techniciens – si la maquette numérique n'est pas conforme à la réalité, personne ne va l'utiliser ! » Deux précautions valent mieux qu'une. Constance de Batz indique que même dans le neuf, « les maquettes DOE ne sont parfois pas cohérentes avec les plans DOE, ni même la réalité de l'ouvrage. Nous préconisons de contrôler le bâtiment avec un scan 3D pour vérifier l'exactitude des informations. » D'ores et déjà, de nouveaux métiers se mettent en place pour fiabiliser et maintenir ces données.