Le tribunal correctionnel de Paris a prononcé la nullité de cette procédure en raison de son "imprécision", expliquant que la citation ne permettait pas aux prévenus de "relier ce qui est reproché à chacun" à des victimes précises.
Il a ainsi donné raison aux avocats de la défense, qui avaient lors d'une audience intermédiaire le 9 mars dédiée aux exceptions de nullité critiqué cette "imprécision", soulignant que la citation n'énonçait pas "le fait poursuivi", "la période d'exposition" ou encore le lien entre les faits et les parties civiles.
Les plaignants ont désormais la possibilité soit de redéposer une citation, soit de faire appel de la décision du tribunal.
"Dans cette affaire on peut refaire une citation et c'est ce qu'on va faire, très clairement", a annoncé Michel Parigot, responsable de l'association nationale des victimes de l'amiante (AVA), après l'énoncé de la décision.
Selon lui, l'imprécision reprochée à la citation est "due au fait que la justice n'a pas fait son travail". "Il n'y a pas eu d'instruction qui a été faite pendant 26 ans et (...) ils n'ont pas cherché les documents alors que nous, nous en avons trouvé énormément", a-t-il fustigé, reprochant à la justice de "faire traîner".
"En tant que victime, on ne peut pas comprendre qu'au bout de 25 ans encore on se pose des questions", a réagi de son côté Pierre Pluta, ex-ouvrier des chantiers navals de Dunkerque et président de l'Ardeva, une association régionale de défense des victimes.
"On meurt aujourd'hui"
"Je ne baisserai pas les bras, je l'ai promis aux victimes", a ajouté cet homme de 77 ans, les larmes aux yeux, qui a appelé la justice à faire "son travail". "Nous, on a travaillé et on meurt aujourd'hui", a-t-il dit.
Les quelques avocats des personnes citées qui étaient présents au tribunal vendredi ont pour leur part refusé de faire des commentaires.
Depuis environ trois ans, la plupart des dossiers de l'amiante instruits à Paris se sont conclus par des non-lieux, au grand dam des victimes qui réclament un procès pénal pour juger les responsables de ce scandale sanitaire.
Pour y parvenir, quelque 1.800 victimes ont décidé de déposer une citation directe, ce qui permet à la victime d'une infraction de saisir directement un tribunal pénal. Dans ce genre de procédure, il n'y a pas d'investigations menées par des magistrats. Charge aux plaignants de collecter les éléments de preuve et de désigner les suspects.
Dans ce dossier, la citation directe a été adressée à quatorze anciens représentants de ministères, des dirigeants d'entreprises ou des médecins, âgés de 62 à 84 ans, qui auraient selon les plaignants cherché à retarder l'interdiction de la fibre cancérigène, intervenue en 1997.
Certains d'entre eux avaient été mis en examen en 2011 et 2012 dans deux dossiers emblématiques du scandale sanitaire, ceux du campus parisien de Jussieu et des chantiers navals Normed de Dunkerque, avant que la Cour de cassation n'entérine l'abandon des poursuites à leur encontre.
Les plaignants souhaitaient qu'ils répondent de leurs liens avec le Comité permanent amiante (CPA), décrit dans un rapport sénatorial de 2005 comme un "lobby" pro-amiante actif entre 1982 et 1995, alors que toutes les variétés d'amiante étaient classées cancérigènes par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis 1977.
Dans la citation, les infractions suivantes étaient visées: "homicides et blessures involontaires", "non-assistance à personne en péril", "complicité d'administration de substance nuisible", "complicité de tromperie aggravée" et "association de malfaiteurs".
En 2012, les autorités sanitaires estimaient que l'amiante pourrait causer d'ici à 2025 trois mille décès chaque année par des cancers de la plèvre ou des cancers broncho-pulmonaires.
Amiante en France: beaucoup de procédures et des non-lieux
Depuis son interdiction en 1997, la justice française, qui a refusé vendredi le procès pénal réclamé par des victimes, s'est penchée à de nombreuses reprises sur l'amiante et a prononcé des non-lieux retentissants.
Rappel des principales décisions de justice en France concernant cette fibre cancérogène, autrefois abondamment utilisée dans le bâtiment et l'industrie.
6 septembre 1996 : première procédure pénale
Le parquet de Paris ouvre la première procédure pénale (contre X) au sujet d'une exposition à l'amiante, après la plainte d'un électricien atteint d'un cancer de la plèvre.
Deux mois plus tôt, le ministre du Travail Jacques Barrot annonce l'interdiction au 1er janvier 1997 de la fabrication, importation et vente d'amiante en France.
29 octobre 1996 : Eternit
Première information judiciaire contre les dirigeants d'Eternit, entreprise de fibrociment, ouverte par le parquet de Valenciennes (Nord).
19 novembre 1996: Jussieu
Le parquet de Paris ouvre une information judiciaire contre "X" concernant la présence d'amiante à Jussieu, d'où est partie la première grande mobilisation anti-amiante dans les années 1970. Le ministre de l'Education nationale, François Bayrou, annonce le "désamiantage" complet de ce campus universitaire parisien.
18 décembre 1997: Eternit condamné
La Cour d'appel de Dijon condamne Eternit pour "faute inexcusable" de l'employeur envers quatre anciens salariés ou ayants droit. De nombreux industriels et chantiers navals sont ensuite condamnés pour le même motif.
30 mai 2000: l'Etat "fautif"
Le tribunal administratif de Marseille juge pour la première fois l'Etat "responsable" de quatre décès, invoquant son "retard fautif" à "édicter des normes plus sévères quant à l'inhalation des fibres d'amiante en milieu professionnel". Jugement confirmé le 3 mars 2004 par le Conseil d'Etat.
11 mai 2010: préjudice d'anxiété
La Cour de cassation reconnaît que les travailleurs de l'amiante peuvent bénéficier d'une indemnisation pour préjudice d'anxiété, pas pour préjudice économique.
8 février 2013: Amisol, non-lieu
La Cour d'appel de Paris prononce un non-lieu dans l'enquête sur la contamination d'ouvrières à l'usine de filage d'amiante Amisol, à Clermont-Ferrand, fermée depuis 1974.
14 avril 2015: Martine Aubry hors de cause
Martine Aubry est mise en examen le 7 novembre 2012 pour homicides et blessures involontaires comme ex-directrice des relations du travail du ministère du Travail dans l'enquête sur l'exposition à l'amiante des usines Valeo de Condé-sur-Noireau (Calvados).
La maire de Lille est mise définitivement hors de cause le 14 avril 2015 par la Cour de cassation.
13 juin 2017: multiples non-lieux
Le parquet de Paris demande la fin des investigations dans plusieurs enquêtes pénales, considérant impossible de dater précisément l'intoxication des victimes.
Cela ouvre la voie à des non-lieux en cascade, comme le 10 juillet 2019 pour des responsables d'Eternit, mis en examen pour homicides et blessures involontaires.
Sept jours plus tard, non-lieu général concernant les usines de Condé-sur-Noireau.
22 janvier 2021: reprise d'enquête sur Everite
La cour d'appel de Paris ordonne la reprise de l'enquête sur Everite, estimant que ses dirigeants peuvent être tenus responsables de l'exposition des salariés et infirmant un non-lieu de 2018 sur cette filiale de Saint-Gobain.
24 février 2022: Jussieu, non-lieu
La justice ordonne l'abandon des poursuites pour Jussieu: il n'est "pas possible de relier le dommage à des éventuelles fautes qui pourraient être imputées - de manière certaine - à des personnes ayant une responsabilité dans l'exposition à l'amiante".
12 octobre 2022: enquête sur la RATP
Ouverture d'une information judiciaire au tribunal judiciaire de Paris pour "mise en danger d'autrui" concernant la RATP et un sous-traitant après la plainte d'un ouvrier ayant travaillé 20 ans à la réfection des stations du métro parisien.
3 mai 2023: théâtre marseillais
Un an de prison ferme est requis à Marseille contre un ex-chef de service de la ville ayant transmis avec deux ans de retard un diagnostic amiante, contribuant à l'exposition des salariés du théâtre de La Criée. Délibéré le 26 juin.
19 mai 2023 : refus d'un procès pénal
Le tribunal de Paris juge irrecevable une citation directe déposée par près de 2.000 personnes qui espéraient obtenir un procès pénal contre 14 personnes ayant eu des responsabilités au niveau national.