En haut de cette rue pentue du quartier populaire de Noailles, près du Vieux-Port, les immeubles des numéros 63 et 65, qui se sont effondrés en quelques secondes, tuant huit personnes, ont laissé un grand vide bétonné.
Touristes et Marseillais de passage s'arrêtent devant le grand portail qui protège cette "dent creuse", vouée à devenir un "lieu ressources" municipal.
Mais Virginie Vallier, depuis les fenêtres de son appartement juste en face, au 66, n'en peut plus de ce "trou" qui lui rappelle "l'inimaginable": "Personne ne pouvait penser qu'un immeuble s'effondrerait comme ça, avec des gens dedans".
A peine aborde-t-on le sujet que "tout remonte": ce jour où "on se demandait pourquoi la maman du petit El Amine n'était pas rentrée" (NDLR: Ouloume Saïd Hassani avait perdu la vie, emportée par la chute de l'immeuble, juste après avoir déposé son fils de 8 ans à l'école), où elle n'a plus eu le droit de rentrer chez elle, puis l'année entière à l'hôtel et la galère sans fin des travaux pour réintégrer son appartement.
Aujourd'hui, à quelques jours du procès, cette professeure de français en collège se dit "épuisée" et se demande si elle a bien fait de "s'accrocher".
D'autant que cette rue qu'elle adorait, entre coiffeurs afros et petits bars, n'est plus le "village" animé d'avant.
"Calme, trop calme"
Anonyme, un épicier du haut de la rue déplore aussi "le vide" laissé par tous ces logements inoccupés: tout le côté impair, évacué, du numéro 67 au 83, mais aussi tous les autres, les appartements squattés, les propriétaires qui ont fait les travaux puis loué en Airbnb, et les locataires qui ne sont jamais revenus.
L'habitat insalubre est toujours là, avec ses immeubles condamnés aux portes cadenassées, fenêtres étayées et murs fissurés. Comme au 43 où Saïd, 54 ans, handicapé, paie 480 euros pour un taudis d'une quinzaine de mètres carrés envahi par les cafards.
Et, le soir venu, le trafic de drogue a pignon sur rue.
"Les gens ont peur de venir ici à cause des dealers, il y a moins de monde, c'est calme, trop calme", assure Efosa Iroghama, derrière le comptoir de son bar désert.
Sous le buste du poète Homère qui domine la placette toute proche, désormais rebaptisée "Place du 5 novembre 2018", l'accès au panneau qui commémore les huit victimes est gêné par des poubelles débordantes.
Depuis la porte de son restaurant "Mama Africa", Félicité Gaye se décrit comme "la gardienne du cimetière": "Ce qui m'a détruite, c'est que j'étais attachée à ces jeunes, surtout Julien et Simona" (NDLR: deux des victimes), raconte-t-elle, les yeux embués.
Elle pensait qu'après un tel drame, "tout allait être réparé, on aurait voulu que ça brille comme dans le 8e" arrondissement, dans les quartiers sud résidentiels de la ville.
Mais le haut de la rue d'Aubagne reste délabré, comme abandonné. Un responsable de la Société publique d'aménagement de la Métropole, en charge de l'habitat dégradé, distribue des tracts aux habitants: le premier chantier de cette entité créée après le drame va enfin démarrer, avec la réhabilitation d'une trentaine de logements, mais dans une rue voisine.
"Pourquoi, symboliquement au moins, ils n'ont pas commencé par la rue d'Aubagne ?", interroge Virginie Vallier.
La quadragénaire dit "ne plus rien attendre". Elle raconte avoir découvert tardivement qu'un étai sensé soutenir le premier étage de son immeuble, endommagé par l'effondrement des bâtiments d'en face, avait été posé "au mauvais endroit": "Des gens sont morts de l'autre côté de la rue, et on n'en tire aucune leçon".