Question : comment qualifieriez-vous la situation ?
Réponse : "Tout à fait problématique. Pas de possibilité réelle de dissolution, ni de coalition, ni de referendum. Un blocage du côté de l'âge légal de départ sur lequel le gouvernement ne veut pas reculer, alors que les syndicats exigent qu'il recule. Une incertitude quand même sur un durcissement du conflit de façon périphérique, soit avec ce qu'on voit du côté des prolongements de manifestations violents le soir ou des blocages de carburant, électricité...
S'ajoute la grande inconnue de la jeunesse. Si elle bouge davantage d'ici à la fin de la semaine, dans les dix jours, ça peut prendre une autre ampleur.
Q : Comment les choses peuvent-elles évoluer ?
R : Ce que je crains, et je ne suis pas le seul, c'est qu'avec les débordements de violence, on arrive à un accident tragique. On se rappelle tous l'affaire Malik Oussekine en 1986 (ndlr : étudiant de 22 ans mort sous les coups de policiers en marge d'une manifestation étudiante).
On est dans une situation qui certainement, et je pèse mes mots, n'a jamais été aussi bloquée qu'aujourd'hui, alors même que nous en sommes au 9e grand mouvement social de ce type depuis 1995, dont le 4e ou 5e sur les retraites.
Même en 1968, alors que le mouvement avait une tout autre ampleur – douze millions de salariés en grève, des milliers d'entreprises et d'administrations occupées par des salariés, un mouvement étudiant, des violences et des débordements... -, il n'y avait pas ce blocage.
Il y avait d'abord deux organisations, la CFDT et la CGT, qui étaient beaucoup plus puissantes qu'aujourd'hui, une droite très mobilisée et unie derrière De Gaulle et un gouvernement qui maintenait constamment les rapports avec les organisations syndicales, ce qui a donné lieu aux fameux accords de Grenelle.
Q : Quelles sont les prochaines étapes ?
R : Aujourd'hui, on a l'impression que face à Macron, toutes les portes se sont fermées. Et du coup, on attend sagement la décision du Conseil constitutionnel d'ici à trois semaines.
Sauf immense surprise, où le pouvoir suspendrait la réforme, pendant trois semaines on risque d'avoir ce que nous connaissons. Avec à chaque fois une montée des tensions et de la violence.
Si la violence se poursuit, quid du front syndical ? Le congrès de la CGT cette semaine jouera aussi un rôle pour l'après. Il présente de véritables alternatives syndicales au sein même de la centrale.
D'un côté, vous avez Marie Buisson, soutenue par Philippe Martinez, qui se veut très ouverte aux problèmes sociétaux, dont l'écologie. De l'autre, des grandes fédérations comme l'énergie, qui sont aujourd'hui à la pointe du conflit et les plus opposées à Philippe Martinez (ndlr : poussant pour la candidature de Céline Verzeletti).
Je ne peux pas faire de pronostic, on n'est pas au PMU. Mais d'un côté comme de l'autre, ça jouera beaucoup - pas tant sur le mouvement social immédiat - mais pour la suite.