Avec respectivement 12 et 13 jours de retard en moyenne, les entreprises françaises et européennes voient leur comportement de paiement se tendre légèrement sur un an. En moyenne, en France comme en Europe, 1 entreprise sur 2 règle ses factures à l’heure. Ce chiffre ne doit pas masquer cependant la recrudescence des gros retardataires (plus de 30 jours). Une situation particulièrement préoccupante chez les plus petites structures.
Pour Thierry Millon, directeur des études Altares : « Au cours de ce premier semestre 2023, dans un contexte de ralentissement de l’activité conjugué à une inflation toujours forte et des taux d’intérêt plus élevés, l’étau s’est resserré sur les trésoreries et a contrarié les bonnes intentions observées en 2022. Les organisations retrouvent leurs anciennes habitudes, semblant ne pas pouvoir durablement s’écarter du référentiel des 12 jours en France et 13 jours en Europe en moyenne. L’initiative de la Commission européenne visant à ramener les délais de règlement à 30 jours va devoir composer avec des habitudes de paiements interentreprises très contrastées au sein de l’Europe. »
En Europe, le plafond des 13 jours finalement difficile à briser
Les multiples crises qui secouent la France et l’Europe depuis 2020 pourraient-elles avoir raison de l’amélioration des comportements de paiement observée ces derniers mois ? Car depuis l’été 2020, après avoir été au plus haut avec 14,5 jours en France comme en Europe, les retards de paiement se réduisaient progressivement. Mais trois ans après, l’Europe butte sur le seuil « traditionnel » de 13 jours quand la France retrouve le sien à 12 jours.
Sur le podium des « bons élèves », la Belgique en difficulté, l’Allemagne et les Pays Bas inébranlables
La Belgique enregistre un 4ème trimestre consécutif à la hausse et présente désormais 11,4 jours de retards de paiement en moyenne. Le pourcentage d’entreprises réglant leurs factures à l’heure retombe nettement sous 50% (46,7%). La part des grands retardataires est au plus haut (6,4%) depuis deux ans. Habitué du podium des « meilleurs payeurs », le pays pourrait laisser sa place à son voisin français.
Les Pays-Bas et l’Allemagne, les deux leaders historiques, ne vacillent pas et se maintiennent sous le seuil des 7 jours, à respectivement 4,1 jours et 6,2 jours. Cette « culture payeur » conduit à ce que plus des trois quarts (76,7%) des entreprises néerlandaises et près des deux tiers (62,4%) des entreprises allemandes règlent leurs fournisseurs sans retard. A noter toutefois, la situation se dégrade légèrement en Allemagne.
Les pays latins à la traine, le Royaume-Uni remonte la pente
Les retards de paiement se réduisent très progressivement au Portugal : au-dessus de 30 jours en 2019, ils pointent à 24 jours au 2ème trimestre 2023. Seule une entreprise sur cinq (20,1%) règle ses fournisseurs à l’heure et plus de 15% des entreprises présentent des retards de plus de 30 jours.
Son voisin espagnol, tombé sous le seuil des 15 jours en 2022, repasse juste au-dessus au cours du premier semestre 2023. Depuis fin 2021, environ 44% des entreprises respectent la date d’échéance de facture. En revanche, près d’une entreprise sur dix (9,6%) présente désormais des retards supérieurs à 30 jours, soit environ 1% de plus qu’en 2022.
L’Italie redescend sous 17 jours de retard en 2023, réduisant ses délais de plus de deux jours en trois ans. Depuis un an, environ quatre entreprises sur dix payent à temps, mais près de 12% reportent encore les règlements fournisseurs de plus de 30 jours.
Les retards de paiement britanniques étaient bloqués au-dessus du seuil de 14 jours depuis la crise sanitaire. Pour la première fois, ils repassent légèrement en-dessous (13,8 jours) ce deuxième trimestre. Si la proportion de grands retards, supérieure à 9% depuis la Covid, se stabilise, le pourcentage de bons payeurs augmente sensiblement depuis un an. Le Royaume-Uni rejoint désormais la France et l’Europe avec près d’une entreprise sur deux (49,4%) honorant ses factures sans aucun retard.
Pour Thierry Millon : « Les entreprises européennes tentent de résister aux vents contraires. Si les retards de paiement ne s’envolent pas, un clivage se creuse entre des entreprises plus nombreuses à tenir leurs engagements contractuels et d’autres plus nombreuses également à décaler leurs règlements de plus d’un mois. Si le bon comportement des premières confirme qu’elles disposent de la trésorerie suffisante, les secondes, en revanche, témoignent de tensions de plus en plus fortes et d’un niveau de liquidités insuffisant. »
En France, le nombre de bons payeurs est au plus haut, mais les gros retards sont aussi plus nombreux
En France, le retard moyen remonte légèrement à la défaveur de retards supérieurs à 30 jours plus fréquents (7,6% contre 5,7% il y a un an). La proportion de bons payeurs est à son plus haut historique, tout proche de 50% (49,3%), un ratio comparable à celui de l’Europe (49,9%).
La situation se tend fortement chez les PME mais aussi les TPE
En 2022, les PME françaises renouaient avec leurs comportements d’avant crise Covid, passant sous les 12 jours.
Au cours du 1er semestre 2023, les sociétés de 10 à 49 salariés se maintiennent sous 11,5 jours. Mais les entreprises de 50 à 200 salariés voient leurs retards s’allonger de plus d’une journée sur un an (12,4 jours en T2 2023 vs 11,2 en T2 2022).
Constat diamétralement inverse chez les TPE. Les plus grosses structures - plus de 3 salariés - se maintiennent aux environs de 11,5 jours tandis que les plus petites, de moins de 3 salariés, repassent à 12,2 jours au 2e trimestre 2023.
Les ETI et grandes entreprises de plus de 1000 salariés ne confirment pas en 2023 l’amélioration engagée l’année précédente. Réduits à 16,5 jours durant l’été 2022, les retards moyens avoisinent désormais 18 jours (17,7 au 2eme trimestre).
Pour Thierry Millon : « Les premières analyses de l’été confirment l’incertitude du premier semestre. Les PME restent à la peine. Mais c’est sur le périmètre des très petites entreprises que les tensions seraient les plus fortes. Les TPE de moins de trois salariés pourraient approcher 13 jours de retard sur le troisième trimestre 2023, un niveau très inhabituel pour une population généralement contrainte à des règlements plus prompts. »
Les activités B2C sous tension, celles du B2B à leur tour fragilisées, et l’administration patine
Les activités B2C fragilisées depuis la crise Covid peinent toujours à se remettre
Dans la restauration, les retards dépassaient 24 jours pendant la crise sanitaire. Après une progressive amélioration en 2022, la situation se dégrade de nouveau en 2023. Le secteur termine la mi année à 19,4 jours et devrait dépasser les 20 jours rapidement.
La tendance est aussi tendue pour les débits de boisson. Les retards s’envolent de 4 jours sur le premier semestre en comparaison de 2022 (18,2 jours au 1er semestre 2023 vs. 14,2 jours en 2022).
Après avoir très rapidement réduit leurs retards après la crise sanitaire (16 jours fin 2021 vs. 26 au 1er semestre 2020), les coiffeurs voient leurs comportements de paiement se dégrader de nouveau rapidement. Le secteur termine le semestre tout proche de 22 jours.
Le commerce de détail résiste mieux mais les tensions demeurent en particulier dans l’alimentaire et l’habillement. Le secteur de l’alimentaire termine ce premier semestre à 13,5 jours environ, gommant les efforts de 2021 et 2022.
Dans l’habillement, les comportements de paiement sont très irréguliers et ne parviennent toujours pas à retrouver leurs valeurs d’avant Covid voisines de 15 jours (17 jours au 1er semestre 2023).
En B2B, le bâtiment reste le secteur exemplaire, l’immobilier dérape
Le commerce de gros d’habillement-textile butte depuis un an sur le seuil de 19 jours de retard, un niveau comparable à celui constaté sur le second semestre 2020. Le secteur se situait sous 15 jours sur le premier semestre 2019.
Dans l’information-communication, les retards augmentent très vite depuis un an dans l’édition et demeurent élevés dans les activités de films & son.
Les tensions s’accentuent dans les services aux entreprises, en particulier pour les agences de placement de main-d'œuvre ou travail temporaire qui étaient parvenues à descendre sous 14 jours en moyenne en 2022, mais remontent au-delà de 16 jours au cours du deuxième trimestre 2023. La tendance est également très sensible dans le secteur de la sécurité avec des retards en augmentation de plus de 4 jours en un an (14,6 jours au 1er semestre 2023).
Les retards de paiement se stabilisent sous 16 jours dans les transports routiers de marchandises.
L’industrie et la construction présentent des comportements de paiement stables avec des retards respectivement sous 11 jours en moyenne pour le premier et voisins de 10 jours pour le second. La tendance est toutefois au durcissement dans la construction cet été.
L’immobilier, en revanche, dérape fortement. La promotion immobilière dépasse désormais les 26 jours de retard de paiement en moyenne. De leur côté, les agences immobilières, à 17,3 jours, accusent 3 jours de retard supplémentaires sur un an.
Un autre segment d’activité requiert une attention. Il s’agit de l’administration où les comportements de paiement se dégradent sensiblement depuis 2022. Sous 12 jours en 2021, le retard moyen approchait 13 jours fin 2022 et dépasse désormais 14 jours.
En région, la Bretagne est en tête, l’Ile-de-France bon dernier
Le retard de règlement des entreprises franciliennes dépasse 17 jours, très au-dessus de la moyenne nationale.
En Outre-mer, les retards s’étaient envolés au-delà des 30 jours au printemps 2021. A l’issue de ce semestre, les entreprises renouent avec des comportements de paiement plus habituels, qui restent cependant élevés à 20 jours.
A l’inverse, trois régions parviennent à rester sous le seuil des 10 jours de retard. Il s’agit de la Bretagne (8,9 jours), les Pays de la Loire (9 jours) et la Nouvelle-Aquitaine (9,9 jours). Ces régions avaient déjà réussi à maintenir des retards voisins de 11 jours durant l’été 2020 alors que la moyenne nationale dépassait 14 jours.
Pour Thierry Millon : « Le rapport 2022 de l’Observatoire des délais de paiement [1] soulignait des évolutions encourageantes en dépit des tensions d’approvisionnement et du retour de l’inflation. Près d’une entreprise française sur deux paye désormais ses factures à l’heure. Elles étaient quatre sur dix avant Covid et à peine une sur trois durant la crise sanitaire. Ce premier semestre 2023 peut sans doute à son tour porter des encouragements au vu des progrès accomplis globalement en Europe, et en France en particulier. La question des achats responsables, et donc du respect des délais de paiement, est un enjeu majeur placé au cœur de la démarche RSE des entreprises. C’est pourquoi, la trajectoire positive engagée doit pouvoir embarquer de plus en plus d’acteurs, notamment des PME. Toutefois, les liquidités manquent parfois et l’augmentation des grands retards constatée dans plusieurs pays dont la France, nous rappelle à des réalités très opérationnelles. Il faut des clients qui payent à l’heure pour pouvoir à son tour payer ses fournisseurs à l’heure. Le crédit interentreprise et ses 800 milliards d’euros n’est pas un jeu à somme nulle où les postes fournisseurs et clients s’équilibrent toujours. »
[1] https://publications.banque-france.fr/liste-chronologique/rapport-de-lobservatoire-des-delais-de-paiement