Chef d'oeuvre de verre, de pierre et d'acier, il symbolisait le nouvel art de bâtir dans le siècle à venir. Le Grand Palais aujourd'hui divisé en différentes entités ne permettent plus de voir le bâtiment tel qu'il était à son origine, à savoir un vaste continuum spatial dans lequel le visiteur pouvait déambuler librement.
Recrutés par concours de l'État, les Architectes en Chef des Monuments Historiques (ACMH) reçoivent la confiance de l'Administration qui attend d'eux la connaissance de leur art et de l'histoire tout autant que leurs qualités morales et humaines. François Chatillon est nommé ACMH en 2004 et chargé en 2010 par le ministère de la Culture de la restauration et la mise en valeur historique du Grand Palais.
A ce titre, il est chargé par le ministère de diriger et de coordonner les études préliminaires et les études préalables aux travaux, ainsi que d'assurer la maîtrise d'oeuvre des travaux de restauration.
Si le monument est un document d'histoire et d'architecture, l'Architecte en Chef en est le lecteur privilégié.
C'est à cette occasion que le monument se livre en vérité. C'est là le centre névralgique de la recherche et des prises de décision. Le rôle de l'Architecte en chef est alors de redonner vie au patrimoine national afin d'en permettre son usage sans en altérer ses qualités de conception.
Pour mener à bien ces missions l'agence François Chatillon Architecte fait appel à la technologie numérique et à la modélisation numérique, des pratiques d'investigation que maitrise l'équipe afin de « redécouvrir » cette oeuvre avec les formidables qualités spatiales et lumineuses de ce bâtiment.
Cette nouvelle étape dans la vie du Grand Palais offre également l'opportunité de poser un nouveau regard sur cette oeuvre monumentale réalisée par trois architectes – Henri Deglane pour le bâtiment antérieur (grande nef et galeries) ; Albert-Louis Louvet pour le bâtiment intermédiaire (paddock et galeries Sud et Nord) ; et Albert Thomas pour le Palais d'Antin (aujourd'hui Palais de la Découverte).
« J'y vois pour ma part une oeuvre charnière entre le XIXe et le XXe siècle. Un moment de tension entre académisme et modernité. L'adaptation entre forme et fonction est particulièrement pertinente. La mise en oeuvre des matériaux, en particulier celle de l'acier, exprime une forme de “ vérité ” structurelle et permet la transparence ; deux concepts chers à la modernité. Tous les matériaux disponibles en cette fin de XIXème siècle (pierre, briques, acier, béton, verre, stuc, marbres, mosaïques, etc.) ont été utilisés. Leur mise en oeuvre a fait appel aussi bien au savoir-faire des compagnons qu'aux calculs des ingénieurs ». François Chatillon
Un « monument » trois architectes
Henri Deglane pour le bâtiment antérieur (grande nef et galeries), Albert-Louis Louvet pour le bâtiment intermédiaire (paddock et galeries Sud et Nord) et Albert Thomas pour le Palais d'Antin (Palais de la Découverte), trois architectes lors de la construction du Grand Palais, qui avaient particulièrement soigné la diffusion de la lumière et dont Charles Girault a coordonné l'ensemble.
Synthèse de ses modes constructifs
L'étude de synthèse des modes constructifs constitue une analyse architecturale complète de l'état initial du Grand Palais et des éléments postérieurs qui sont appelés à être conservés dans le cadre du Schéma Directeur de Restauration et d'Aménagement (SDRA). Ce travail a pour objectif d'élaborer une véritable mémoire du cycle de vie et de l'histoire du bâtiment, de mettre en place une banque d'informations évolutive qui sera précieuse pour les différents acteurs intervenant sur le projet.
À partir de cette base de données inédite, il sera possible de prolonger cette démarche afin de centraliser à la fois la mémoire constructive et les modifications apportées par les aménagements à venir.
En effet, dans le cadre du projet de restauration, cette base de donnée et maquette virtuelle représentent alors - non seulement l'état initial de son année de construction 1900 - mais également les modifications postérieures qui y ont été réalisées au fur et à mesure des années. On y répertorie donc, avec cet outil, plus d'un siècle d'évolution architecturale.
Ces sources se basent sur les connaissances historiques et techniques que l'agence François Chatillon ont collectées grâce à l'exploitation des archives nationales du Grand Palais et menées depuis 2011.
Réalisation en temps réel
Cet outil numérique permet de faire une mise à jour de cette maquette tout au long du projet en fonction des éléments nouveaux qui interfèreront sur le monument historique.
Autre atout, il sera possible de relier la maquette 3D à la base documentaire de la Réunion des musées nationaux - Grand Palais (Rmn-GP) avec des liens vers l'ensemble des archives scannées en haute définition en provenance des Archives Nationales. Sur la base d'une cotation de ces archives qui pourraient être réalisée par un archiviste, il serait possible de relier tous les éléments de la maquette 3D à la cotation de sa source et permettre une connaissance parfaite des informations et enfin, fournir un outil exceptionnel de connaissance.
Les objectifs de la réalisation de cette maquette sont donc multiples ; ils permettent une mise à disposition de la connaissance du monument historique à l'ensemble des acteurs du projet, une appropriation de ces connaissances par chacun et donc la réalisation d'un outil de communication essentiel.
Démasquer sa composition et son organisation au fil du temps
Les modifications réalisées au fil du temps pour des questions d'usage ont fini par masquer la grande force de la composition du plan et des volumétries du Grand Palais.
Pour exemple, l'axe majeur qui relie l'entrée de la grande nef à la rotonde du Palais d'Antin (aujourd'hui Le Palais de la Découverte) est obturé depuis 1937. Les galeries d'exposition ont été entresolées, privant les visiteurs des grandes hauteurs sous plafond avec leur éclairage zénithal dont la récente restauration de la galerie Sud-Est donne aujourd'hui un aperçu. Les espaces du soubassement autrefois dédiés aux chevaux avec écuries, manège et rampes sont enfouis dans les tréfonds.
Cette remise au jour de la composition, des volumes et des dispositifs de distribution s'impose avec évidence au projet de restauration au préalable du projet d'aménagement de Lan Architecture.
En amont du projet d'aménagement, la technologie de modélisation, maîtrisée par l'équipe de l'agence réforme la façon d'analyser ce « monument », ses structures et sa mise en oeuvre. Ainsi, ce système rend la mémoire du cycle de vie du Grand Palais, son histoire, avec chaque étape du processus de sa construction.
François Chatillon a toujours été à la pointe des nouvelles technologies au sein de sa pratique professionnelle. Aujourd'hui, en plus des différents savoir-faire intégrés, l'agence travaille depuis 1997 dans la logique du Building Information Modeling (BIM), venant compléter ainsi la modélisation 3D et l'imagerie de synthèse développés par son équipe depuis de nombreuses années.
« L'outil de modélisation, développé pour un bâtiment existant à forte valeur patrimoniale, est un réel atout pour la centralisation des informations que l'on peut obtenir du bâtiment et de ses composants : de la référence de la poignée de porte au débit d'extraction d'air de la ventilation, tout est répertorié et enregistré ».
Avec ce travail sur la maquette 3D, l'équipe de François Chatillon cherche à comprendre la structure d'origine du bâtiment, ses différentes transformations survenues en un siècle.
Autrement dit ce système permettra de :
- Visualiser les volumétries, les espaces d'origine du bâtiment et sa lumière
- Comprendre l'assemblage des différents matériaux
- Permettre aux équipes en charge de l'aménagement de l'implanter dans un bâtiment à l'état de celui de 1900
- Intégrer un dispositif technique contemporain, à l'origine inexistant
Redécouvrir son incroyable luminosité
Le système des rotondes et des galeries offre un éclairage diffus puisque celles-ci sont constituées de verrières en toiture qui éclairent les combles composés de charpente métallique.
Depuis ces combles, la lumière est diffusée en second jour dans le bâtiment grâce aux plafonds verriers ce qui offre une lumière filtrée et douce, nécessaire à l'époque pour préserver les oeuvres d'un éclairage direct.
Malgré la restauration de la verrière de la nef réalisée par l'architecte en chef Alain Charles Perrot, le Grand Palais reste en grande partie plongé dans l'obscurité.
Verrières grandes et petites, planchers en dalles de verre, courettes, seconds jours, subsistent cachés sous des muséographies vieillissantes. La restauration alors de tous ces dispositifs va, littéralement, remettre « au jour » le monument.
Révéler ses décors
Les décors intérieurs restent eux aussi à redécouvrir.
Les trois architectes ont voulu se distinguer sur ce point en donnant trois types d'expressions plastiques caractéristiques. A l'état de vestiges dans certaines ailes très transformées au cours du XXème siècle, ils sont intacts mais masqués au Palais d'Antin (aujourd'hui Palais de la Découverte).
En 2011, François Chatillon, du fait de sa fonction d'ACMH, réalise un diagnostic sur les décors intérieurs qui a pour objectif d'établir avec précision : l'état sanitaire des éléments patrimoniaux du Palais d'Antin, le degré d'urgence des travaux de conservation et le protocole restauration sur les différents types d'ornements à mettre en oeuvre, ainsi que leur coût et leur phasage.
D'autre part, cette étude a permis de mettre en exergue la nécessité de restaurer l'ensemble des couvertures. Face à cette urgence une première campagne de restauration des toitures et verrières a été engagée dès septembre 2017 qui a aussi permis de renforcer les performances techniques de l'ouvrage, dans le respect de l'oeuvre, afin de répondre aux exigences actuelles pour accueillir une exploitation plus contemporaine du lieu.
Le projet prévoit le dégagement des plafonds verriers, des voussures, des décors et les ouvertures des espaces afin de pérenniser la séquence lumineuse de l'enfilade des trois halls (rotonde centrale et les deux ailes). Aujourd'hui une grande partie de ces décors monumentaux est masquée par la muséographie actuelle et les modifications dues aux aménagements successifs. Le projet de restauration prévoit la remise en valeur de ces décors comme les mosaïques, les dalles de verre, les plafonds verriers encore en place mais cachées sous les moquettes ou des faux-plafond.
Il est prévu la restitution à l'identique du Grand Palais 1900 et ce, dans les règles de l'art des décors disparus.
Pour exemple, une mosaïque de grès orne le sol de la rotonde. Réalisée par l'atelier Simons sur le dessin du peintre-décorateur Hista, elle représente un ensemble de rinceaux dont les couleurs sont très soignées.
Des groupes de sculptures - représentant des allégories des Arts - sont réalisés en stuc et staff. Ils scandent les piliers de la rotonde et sont accompagnés d'un programme de décors ornementaux très aboutis. Les motifs de fleurs et végétaux sont déclinés sur les rampes en bronze des balcons et sur les chutes de trophées avec fond de lambris en onyx.
Pour les verrières, Albert Thomas avait particulièrement soigné la diffusion de la lumière naturelle puisque nombre d'entre-elles éclairaient les étages (coupole centrale, coupoles octogonales aux extrémités, verrières rectangulaires dans les halls). La lumière naturelle était relayée par des dalles de verre au rez-de-chaussée. Cette circulation a aujourd'hui disparu puisque certaines verrières sont occultées mais aussi en mauvais état de conservation.
Le projet de restauration prévoit également la reprise totale des menuiseries, soit en restauration soit en remplacement , selon leur état sanitaire et afin d'améliorer les qualités thermiques des baies dans une démarche environnementale.
Dans les galeries les dispositifs seront mis en place pour permettre la réalisation d'une muséographie conforme aux nécessités de médiation du Palais de la Découverte avec la conservation et la restauration des volumes de lumières et de transparences initiales. L'intégralité de ces dispositifs initiaux sera restauré.