"Dans les années 1980, en centre-Bretagne, énormément de manoirs ont disparu. Personne ne s'en occupait. Des démolisseurs prélevaient des pierres pour des propriétés de bord de mer...": c'est en étant témoin de cet abandon et de la beauté de ces vieilles pierres qu'Olivier Thomas s'est pris de passion pour le patrimoine.
Pendant 10 ans, seul déjà, il a d'abord restauré dans le Morbihan un premier manoir voué à disparaître. Trente-cinq mètres de long, un escalier à vis de 34 marches... "J'en suis tombé amoureux et il a fallu s'y mettre", explique-t-il sobrement. Restauré, l'édifice a été vendu à des Britanniques avant d'être acquis par un architecte du patrimoine.
Face à la somme de travail exigée, il s'était promis d'en rester là. Mais il est tombé en 2008 sur Locmaria où il vit depuis 2010: "ici, l'intérêt, c'est qu'on a affaire à un ensemble avec ses dépendances: le manoir XIVe/XVe, la grange XIVe, la crèche, le poulailler du XVIe. Souvent, il reste une partie d'un manoir, mais les dépendances sont beaucoup plus récentes. Là, ce n'est pas le cas".
"J'ai commencé par le plus urgent, la toiture, puis la sécurisation des parties qui menaçaient de s'écrouler". Une partie de la façade était tombée en 1956 par vétusté. "Des pierres étaient éclatées en plusieurs morceaux. Il a fallu les recoller façon puzzle".
Le plus étonnant est peut-être la cuisine: sous la couche de terre battue est apparu "un pavage du XIVe siècle", assez proche d'un sol de gros galets, qui donne un sol irrégulier où il faut mesurer ses pas.
Aux yeux des Monuments historiques, le propriétaire a travaillé dans les règles de l'art. "Il a eu le souci de restituer des dispositions qui avaient pu être détruites mais qui avaient été documentées et aussi de restaurer des éléments abîmés", constate Hervé Raulet, chargé des protections au titre des Monuments historiques pour le secteur nord-Bretagne.
"Redonner vie"
En 2017, la commission régionale, séduite par "les caractéristiques architecturales" de l'édifice, s'est prononcée pour l'inscription de Locmaria au titre des Monuments Historiques. Bien avancée mais toujours en cours, la restauration a été "menée de manière cohérente, logique et convaincante", considère M. Raulet.
Par nécessité mais par goût du beau travail aussi sans doute, tous les travaux se font "à l'économie" et à l'huile de coude et en solitaire. "Pour la tour, j'ai remonté les 6,50m qui manquaient en hauteur, j'ai tout fait à la main. Les grilles de fenêtres ont été forgées au marteau et à l'enclume. Pas un clou, pas une vis dans les portes, tout est chevillé. Et j'ai monté avec deux palans les pièces principales de la charpente (...) Mais tout ça, c'est pour des raisons économiques", s'excuse-t-il presque. "Chaque chose s'utilise (...) et une bonne restauration est une restauration qui ne se voit pas".
Le temps de travail sur le manoir ? Après le collège, "C'est une deuxième journée de travail, facile", dit en souriant Olivier Thomas, qui, dans la "vraie vie", est employé dans un établissement scolaire.
"Ici, c'est un long travail de patience, je travaille dans la durée, pas dans l'immédiateté. Quand je bosse sur quelque chose, je pense déjà à la suite", développe le passionné.
En parallèle au travail des vieilles pierres, il s'offre le plaisir de reconfigurer le jardin devant le manoir, et s'est mis en quête de rosiers anciens.
"Je ne suis qu'un passeur", commente modestement le propriétaire de Locmaria. "Je sais aimer les lieux, leur redonner vie. En sauvant un site, je sauve aussi une partie de la mémoire bretonne".