L’occasion pour les canalisateurs de distribuer le Livret Bleu avec les engagements de la profession, ainsi que les deux versions du document L’eau en 5 questions Canalisateurs du Sud-Est et L’eau en 5 questions Canalisateurs Auvergne réalisées en région Auvergne-Rhône-Alpes.
Réunissant entrepreneurs, élus locaux, représentants de la maitrise d’ouvrage et de la maitrise d’œuvre, les échanges ont permis de mettre en avant les solutions, mais également les difficultés, des collectivités pour optimiser et préserver leur ressource en eau potable.
Le contexte a été posé dès l’introduction de cette matinée par Stéphane Graupner, Délégué régional Rhône-Alpes des Canalisateurs. Les données climatiques et météorologiques de ces dernières années, et derniers mois, donnent un signal d’alarme fort. Une sécheresse de l’été 2022 sans précédent en France, un hiver 2022-2023 tout aussi sec, enchainant plus de 30 jours sans pluie, des niveaux de nappes phréatiques inquiétants sur une grande partie du pays… Résultat : certains territoires, situés pourtant au cœur de l’Auvergne, le « château d’eau de la France », se voient alimentés par camion-citerne depuis plusieurs mois…
Erik Orsenna, grand témoin de la matinée de l’eau des Canalisateurs
« Il faut prendre soin des canalisations françaises comme vous prenez soin de votre corps »
« Une situation que nous n’aurions jamais pu envisager en France il y a encore une quinzaine d’années, parce qu’on se croyait à l’abri grâce à notre climat tempéré, relève Erik Orsenna dans son échange avec Pierre Rampa, Président des Canalisateurs, diffusé simultanément au sein de toutes les régions. Force est de constater que même dans ce climat, nous avons des problèmes, avec une alternance de sécheresse et d’inondations, qui devient incontrôlable »
L’écrivain et navigateur, grand témoin de cette matinée, a ainsi apporté son éclairage sur la question de l’eau, qu’il considère comme « le sujet de [sa] vie* ».
Il rappelle que « pour avoir de l’eau de qualité, 24h/24, il faut travailler en amont. Ce n’est pas un cadeau du ciel ! » et salue le métier des Canalisateurs : « Il faut prendre soin des canalisations françaises comme vous prenez soin de votre corps. »
Ses nombreux voyages lui permettent d’avoir une vision globale sur les enjeux liés à l’accès à l’eau (« on assiste désormais à des guerres de l’eau ») sans toutefois ne jamais oublier de revenir à un périmètre plus local, car « tout se joue à l’échelle du bassin ». Notamment avec les Agences de l’eau, qui sont des « systèmes pertinents, qui agissent à la bonne échelle, permettent le dialogue et donnent des perspectives. »
Erik Orsenna a in fine défendu les solutions portées par « la seule vraie chevalerie, la chevalerie du possible » car « ne pas investir [pour l’entretien des infrastructures] serait une dette envers les futures générations ».
Les interconnexions, pour sécuriser aujourd’hui et anticiper demain
L’entretien des canalisations, et les stratégies à mener en matière de sécurisation et de préservation de la ressource en eau potable ont pu être abordés lors de la table-ronde, qui a suivi cette première séquence nationale.
Réunissant représentants d’Agences de l’eau, de la maitrise d’œuvre et des collectivités locales, les échanges ont également soulevé quelques problématiques, liés à des échelles de territoires et de temps pas toujours compatibles avec l’action immédiate…
La préservation de la ressource, une priorité
Ainsi, Jean-Marc Pillot, Chef du service « Rhône Rive droite » à l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse / Délégation territoriale de Lyon a pu rappeler que la préservation de la ressource représente un axe fort du programme de l’Agence. Un meilleur partage et des économies d’eau apparaissent en effet comme l’une des 4 priorités, dans un contexte où la disponibilité de la ressource diminue et les sols s’assèchent. L’Agence défend aussi la solidarité urbain/rural, avec des aides spécialement fléchées pour les zones de revitalisation rurale (ZRR). S’agissant des interconnexions, les projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE) sont des outils à disposition pour prioriser les actions en faveur des bassins en déficit.
Du côté de l’Agence de l’eau Loire-Bretagne, la philosophie est la même : « Il convient d’agir à la fois sur la préservation de la ressource d’un point de vue qualitatif, avec la protection des captages notamment, explique Peggy Vogt, Responsable du service Collectivités et Industrie, Délégation Allier-Loire amont. Et nous accompagnons également le développement d’outils de gestion patrimoniale, pour améliorer les rendements des réseaux.». Pour les interconnexions, l’Agence a par ailleurs annoncé une augmentation de sa part de financement, passant de 30 à 50%.
Définir une vision stratégique à court et moyen terme
Au-delà des financements, « la clé d’une bonne gestion de sa ressource réside aujourd’hui dans la vision stratégique portée par les collectivités », précise Laëtitia Simonot, Responsable Pôle hydraulique urbaine chez Artelia Group (Agence Auvergne-Rhône-Alpes). Les schémas directeurs d’eau potable permettent ainsi d’identifier les enjeux locaux et de définir une programmation pluriannuelle de travaux. L’exercice n’est pas forcément aisé puisqu’il nécessite de faire le bilan des besoins du territoire concerné, et de la disponibilité de la ressource, à l’instant T, mais également de se projeter à 10 ou 15 ans. Une échelle de temps difficile à appréhender : est-ce que la stratégie décidée aujourd’hui sera encore soutenable dans 10 ans ? « Il est nécessaire de réactualiser ces schémas », admet Jean-Marc Pillot.
Ce travail d’état des lieux et de priorisations des actions implique une collaboration territoriale sur des périmètres « inhabituels ». Les échelles d’interconnexions ne sont en effet pas les mêmes que les échelles administratives. La réflexion doit se mener au niveau des bassins, qui font souvent fi des frontières départementales et parfois mêmes régionales. Enfin, les territoires concernés ne sont pas toujours tous au même stade de la réflexion. « A ce jour, toutes les grosses agglomérations ont lancé ces démarches de vision stratégique, dans le cadre de la prise de compétence « eau potable » par les intercommunalités, précise Laetitia Simonot. Du côté des plus petits syndicats, ce n’est pas encore partout le cas. »
Une volonté d’action de la part des élus, mais qui rencontre des freins
Et quand la bonne entente territoriale est au rendez-vous, les blocages peuvent aussi venir de l’extérieur ! Stéphane Heyraud, qui accueillait la manifestation sur sa commune de Bourg-Argental dont il est maire, a pu témoigner des difficultés qu’il rencontrait pour mettre en œuvre le projet de sécurisation et d’interconnexion avec l’agglomération d’Annonay et plus particulièrement le barrage du Ternay. Après la réalisation d’une étude de faisabilité, conjointement avec Annonay Rhône Agglo, le dossier se retrouve administrativement bloqué. Il met par ailleurs en avant la difficulté de se trouver face à de multiples financeurs, aux dossiers et calendriers distincts : l’Agence de l’eau, le Conseil départemental et l’Etat via la DETR.
Denis Honoré, Vice-Président Eau potable à Annonay Rhône Agglo, partage ces constats. L’agglomération regroupe 29 communes, alimentées par 3 points de ressources différents : nappe alluviale du Rhône, Barrage du Ternay, sources autres. L’été 2022 a été particulièrement surveillé, avec un suivi rapproché des ressources, une « chasse » aux fuites et une incitation à la sobriété dans l’usage de l’eau. Pour autant, la collectivité n’a pas pu éviter d’avoir recours à du portage d’eau en citerne pour certaines communes. « Cela nous interroge pour les années à venir, dans le cadre du développement du territoire, alerte-il. Nous devons désormais prendre en compte la disponibilité future de la ressource en eau dans nos réflexions d’aménagement, dès lors que cela induit une augmentation de la population ». La collectivité ne manque pourtant pas de projets pour tenter de sécuriser cet accès à la ressource (réflexion autour de la récupération d’eau, nouvelle usine de traitement d’eau potable, interconnexions), mais l’élu regrette qu’il y ait de moins en moins de subventions et que les blocages soient souvent administratifs ou réglementaires.
En conclusion, Jean-Luc Garcia, Délégué régional Auvergne des Canalisateurs, a reconnu que cette volonté d’actions des collectivités était présente et essentielle. Toutefois, dans un contexte où l’urgence commence clairement à se manifester, il pose la question des délais provoqués par des blocages pas toujours compréhensibles… « Et si demain, il fallait vraiment accélérer les investissements ? Quelles solutions s’offrent à nous pour être plus réactifs ? » Peut-être un sujet pour la prochaine matinée de l’eau des Canalisateurs !
Le Plan Eau du Gouvernement attendu…
Tous les intervenants, rejoints par Michel Réguillon, Président des Canalisateurs du Sud-Est, placent quelques espoirs dans le Plan Eau du Gouvernement, qui devrait être présenté cette semaine.
Il devrait permettre de préciser les conditions d’élaboration des 12e programmes des Agences de l’eau. Les élus espèrent quant à eux que ce plan soutiendra plus fortement les projets des collectivités en matière de stockage, de préservation et de sécurisation de la ressource.
* Erik Orsenna a notamment publié deux ouvrages sur la thématique de la ressource eau : « L’avenir de l’eau » en 2008 et « La Terre a soif » en 2022.