Le dernier TGV Paris-Lyon vient de passer et la nuit s'est abattue sur les immenses champs du tonnerrois, en pleine campagne bourguignonne, mais le silence sera de courte durée. Dans un vacarme assourdissant, un mastodonte des rails de plus de 700 mètres de long avance lentement, faisant trembler le sol de ses milliers de tonnes.
Avec une facilité déconcertante, il soulève devant lui les rails comme des plumes, tout en les écartant. Tels des spaghettis, ils pendent dans le vide, tenus par des crochets, pendant qu'une "chaîne de dégarnissage", sorte de serpent formé de mini-pelles, passe sous les rails pour retirer des tonnes de ballast.
Ainsi dégagées, les traverses de 320 kg chacune sont alors soulevées comme des jouets par d'immenses griffes, avant d'être hissées dans le ventre du "train-usine", tandis que, sur un autre tapis, de nouvelles traverses descendent et sont posées sur la voie. Ne reste alors plus qu'à remettre les rails, les fixer et recouvrir de ballast.
"On fait environ 500 mètres de rail par nuit", explique Richard Lopez, responsable de l'unité opérationnelle des travaux, qui ne cache pas sa fierté face au "P95", comme les cheminots l'appellent dans leur jargon. D'un coût de 18 millions d'euros, cette usine ambulante a été spécialement conçue pour le chantier par Colas, "une première en France et dans le monde", selon SNCF Réseau, gestionnaire des 30.000 km du réseau ferré national.
C'est également "la première fois dans le monde ferroviaire à grande vitesse qu'on remplace autant de traverses", s'enorgueillit Alexandre Bertholet, directeur d'Infrapôle LGV Sud-Est, qui assure la maintenance de la ligne.
Une marge de 15 minutes
Chaque nuit jusqu'en 2023, le P95 a pour mission de mener à bien un chantier pharaonique sans perturber le trafic et en respectant un coût supérieur à 300 millions d'euros.
"C'est la LGV plus circulée d'Europe", rappelle Alexandre Bertholet, directeur d'Infrapôle LGV Sud-Est, qui assure la maintenance. La ligne, qui représente un tiers du trafic national, transporte "52 millions de voyageurs en 2019" et fait circuler jusqu'à 300 TGV par jour, précise-t-il à l'AFP lors d'une visite de chantier.
Pour éviter d'interrompre le trafic, les travaux ne démarrent qu'une fois le dernier TGV passé et doivent impérativement se terminer avant la circulation du premier train matinal. "Nous n'avons que huit heures, avec une marge de seulement 15 minutes", ajoute M. Bertholet.
C'est une mauvaise surprise qui a rendu le chantier nécessaire. "En 2009, on a eu un incident de traverse qui nous a obligé à ralentir la ligne pendant plusieurs semaines. On a remplacé les traverses défectueuses mais le risque existe toujours, d'où ce chantier", explique le responsable.
La modernisation de la LGV Paris-Lyon, qui a débuté en mai, vise ainsi à remplacer ballast et traverses sur 166 km de voie, sur les 790 de la ligne Paris-Marseille.
"Il s'agit de nos premiers travaux sur les LGV qui commencent à dater un petit peu", explique Jérôme Grand, directeur territorial SNCF Réseau Bourgogne-Franche-Comté, rappelant que la LGV Paris-Lyon a été inaugurée en 1981, voilà bientôt 40 ans.
"C'est une étape importante pour la garantie de la pérennisation de la LGV", souligne le préfet de l'Yonne, Henri Prévost.
Mais, outre la maintenance, la modernisation s'inscrit dans le cadre de la construction du "réseau haute performance", un projet de 700 millions d'euros qui vise à accroître la circulation et la régularité sur les axes les plus empruntés, en passant en 2025 de 13 à 14 trains par heure puis en 2030 à 16 sur la LGV Paris-Lyon.