
Après une première déclaration dimanche qui avait mis le feu aux poudres, le Premier ministre a été appelé à clarifier sa position devant l'Assemblée nationale. Abroger la mesure phare de la réforme de 2023, qui a décalé l'âge légal de départ à 64 ans, "je dis comme citoyen, comme observateur, que ce n'est pas possible", a-t-il réaffirmé avant de recevoir en soirée la CFDT.
Il a cité le récent rapport de la Cour des comptes, selon lequel le déficit du système de retraites atteindra 6,6 milliards d'euros en 2025 et 30 milliards à horizon 2045. L'impossibilité d'un retour à 62 ans, "je suis persuadé que les partenaires sociaux (...) en viendront à une conclusion de cet ordre", a-t-il affirmé.
Les concertations sur les retraites, engagées fin février entre partenaires sociaux et prévues pour trois mois, ont plus que jamais du plomb dans l'aile. Après le départ de Force ouvrière le 27 février, qui avait dénoncé une "mascarade", la CGT a décidé mardi de proposer à ses instances de "quitter les concertations".
Construire "la mobilisation"
Dans une lettre interne, la Commission exécutive confédérale "considère que la nature des concertations retraites a changé" depuis les déclarations du Premier ministre et propose à ses instances composant son "parlement" de "(s)'en retirer et de construire de façon offensive la mobilisation". Décision attendue mercredi en soirée.
La CGT estime que "le durcissement des positions" de François Bayrou, "sur injonction du Medef, est inacceptable et verrouille le cadre des concertations".
La prochaine réunion de concertation entre partenaires sociaux est maintenue jeudi à 14H00. CFDT, CFTC et CFE-CGC seront à la table des négociations.
"La CFDT n'abandonnera pas les discussions car la réforme s'appliquerait complètement, sans aucun changement. Or, on veut des réponses sur la pénibilité et sur la question des femmes", a indiqué à l'AFP le numéro deux du syndicat, Yvan Ricordeau, après la rencontre à Matignon.
Pointant un "constat de désaccord sur l'âge" qui pour la CFDT "reste dans les discussions", il a noté que "les règles du jeu ont changé depuis l'intervention du Premier ministre qui a interféré". La CFDT attend de la prochaine réunion, jeudi, qu'elle "reformate la feuille de route" des partenaires sociaux: "En fonction de cela, on verra comment on avance", selon le syndicaliste.
Les numéros un des centrales doivent se parler mercredi à 17H30.
"Jeu de dupes"
Côté patronal, l'U2P (artisans, commerçants et professions libérales) a aussi décidé de claquer la porte mardi voyant dans ces négociations un "jeu de dupes".
"Ce conclave n'(est) pas équilibré", les syndicats et l'opposition politique "ne négocier(ont) rien sans un retour de l'âge de départ en retraite à 62 ans", qui financièrement "est impossible", a expliqué à la presse Michel Picon, son président.
Dimanche, M. Bayrou a pris une position "courageuse" en refusant ce "retour en arrière", a-t-il encore estimé. Mais le "concert d'effarouchements" qui a suivi, les "déclarations" médiatiques des syndicats comme des partis d'opposition, "nous ont fait dire +on est dans un piège+", a-t-il dit.
Car tout éventuel accord entre syndicats et patronat doit être soumis au Parlement. Et l'U2P a aujourd'hui "acquis la certitude que les équilibres politiques" y aboutiront à un retour aux 62 ans et "une augmentation des charges des entreprises".
Interrogé par l'AFP, le Medef, principale organisation patronale, a dit "partager le diagnostic" de l'U2P sur le contexte actuel, qui "oblige à (se) réinterroger sur le bien-fondé de ce conclave", sans pour autant annoncer son départ.
La CPME, elle, "reste", se disant "toujours aussi volontaire pour arriver à un accord".
Le Medef confirme vouloir "laisser sa chance" à la discussion
Le président du Medef Patrick Martin a confirmé mercredi vouloir "laisser sa chance" à la discussion sur les retraites, et continuer à y participer, à condition que chacun cesse de "jouer à cache-cache" et "abatte ses cartes".
M. Martin était interrogé sur Radio Classique au lendemain de l'annonce par la plus petite organisation patronale, l'U2P, qu'elle quittait la négociation, tandis que, côté syndicats, la CGT semble s'apprêter à faire de même.
Il resterait ainsi autour de la table, côté patronat, le Medef et la CPME et, côté syndicats, la CFDT, la CFE-CGC et la CFTC, FO ayant pour sa part déjà claqué la porte.
"Nous avons considéré qu'il fallait +laisser sa chance au produit+ même si les perspectives d'aboutir sont minces", a lancé le président de la première organisation patronale, qui a pour exigence le retour à l'équilibre financier des retraites.
"A ce stade les syndicats ne se dévoilent pas et veulent faire passer d'autres sujets avant" mais "nous ne pouvons pas nous exonérer de ce débat : tous les partenaires sociaux, les politiques a fortiori, doivent prendre en compte cette situation des finances publiques qui devient critique", a-t-il souligné.
M. Martin "ne désespère pas qu'à un moment donné chacun abatte ses cartes". "Mais on ne tiendra pas onze séances comme ça à jouer à cache-cache", a-t-il relevé.
Il a de nouveau souhaité élargir la discussion au financement de la protection sociale dans son ensemble. "Je pense que ça détendrait la discussion", a-t-il affirmé.
Interrogé sur les droits de douane que souhaitent massivement relever les Etats-Unis, M. Martin a indiqué que le Medef "ne désespère pas que l'impact (négatif, NDLR) sur l'économie américaine calme les ardeurs de l'administration Trump".
Il note que déjà "des investissements qui étaient fléchés vers les Etats-Unis sont retenus, car les investisseurs se disent que l'Amérique est peut-être en train de prendre le mauvais chemin, en termes d'inflation, de croissance, de cours de bourse". "Il faut que l'Europe elle-même soit très déterminée pour tenir tête à ces menaces", a-t-il ajouté.
M. Martin a souhaité que l'Etat "donne de la visibilité" aux entreprises, notamment petites et moyennes, qui seront concernées par l'effort de réarmement.
Défavorable à un emprunt pour financer cet effort, il a jugé en revanche "souhaitable de flécher, volontairement de la part des épargnants, une partie de l'épargne" dans cette direction.