Face à l'ampleur de la crise du logement, le Premier ministre a déclaré mardi devant les députés qu'il continuerait à "soutenir" le monde du logement social, mais que ce dernier devait "évoluer".
Entre autres changements, il veut proposer "d'ajouter pour une part les logements intermédiaires (LLI, aux loyers réglementés mais plus élevés qu'en HLM, ndlr), accessibles à la classe moyenne" dans le calcul du quota que les communes soumises à la loi SRU doivent respecter.
Adoptée en 2000 pour favoriser la construction de logements sociaux et la mixité sociale, cette loi oblige les communes de plus de 3.500 habitants en zone urbaine (1.500 dans l'agglomération parisienne) à disposer, d'ici 2025, de 20% ou 25% de logements locatifs sociaux dans l'ensemble de leur parc de résidences principales.
Les communes qui ne respectent pas ces quotas doivent remplir des objectifs triennaux de production pour rattraper leur retard, et s'acquitter d'une amende qui servira à financer le logement social si elles ne les tiennent pas.
"Opposer le logement intermédiaire et le logement social est contre-productif: la majorité des personnes qui vont dans le logement intermédiaire sont aussi éligibles au logement social", a justifié le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu lors de ses vœux mercredi soir.
"L'effet de ce qui a été annoncé est de desserrer la pression sur le social pour les plus modestes", a-t-il ajouté.
"Ségrégation"
Mais l'annonce de Gabriel Attal a abasourdi le monde du logement social et certains élus locaux.
"Cette proposition, qui ne règlera en rien le retard pris pour la construction du logement social, va renforcer les ségrégations territoriales en fragilisant le respect de la loi SRU", a fustigé l'Union sociale pour l'habitat (USH), qui représente les bailleurs sociaux.
"Seuls 3%" des 2,6 millions de ménages en attente de logement social sont éligibles, en termes de revenus, au logement intermédiaire, souligne l'USH.
"Une infirmière à Paris ne pourra pas s'y loger", note sa présidente, Emmanuelle Cosse, en rappelant qu'il n'y a "pas de contrôle dans le temps des ressources, ni d'obligation pour les bailleurs de loger des publics +prioritaires+".
Les plafonds des LLI à Bordeaux s'élèvent ainsi à 90.070 euros pour un couple avec deux enfants, soit 7.500 euros de revenus mensuels.
Beaucoup trop pour Thierry Repentin, le maire DVG de Chambéry (Savoie) et ancien président de la commission nationale SRU.
"Il n'y a jamais eu aussi peu de logements sociaux construits en France depuis 2005", rappelle-t-il, jugeant que la mesure annoncée par Gabriel Attal aboutirait à encore "moins de logements sociaux".
Elle donne par ailleurs une prime aux maires qui "ont préféré jouer la ségrégation".
"Renoncement majeur"
Dans une lettre adressée au Premier ministre, les maires d'une quinzaine de grandes villes dont Paris, Lille, Lyon, Bordeaux, Rennes, Strasbourg ou Poitiers ont exprimé mercredi leur "très forte inquiétude".
Ils dénoncent un "renoncement majeur à la politique de production du logement social" et estiment qu'inclure les logements intermédiaires dans le décompte SRU serait "une erreur politique majeure".
Un rapport de la Fondation Abbé Pierre paru en décembre montre que près des deux tiers (64%) des communes concernées par la loi SRU n'ont pas respecté leurs objectifs sur la période 2020-2022.
En cause, selon la Fondation, la pandémie de Covid-19, la conjoncture économique mais aussi "une politique gouvernementale très défavorable au logement social".
"Est-ce que (cette mesure) signifie que les logements intermédiaires seraient considérés comme des logements sociaux avec un conventionnement et des commissions d'attribution ?", interroge pour sa part le directeur général de l'Association des maires de France (AMF), Eric Verlhac.
L'annonce du chef du gouvernement relance aussi le débat sur le bilan de la loi SRU. "Cette loi a clairement permis d'avoir du logement social dans des secteurs où il n'y en avait pas", assure Gilles Leproust, président de l'association Ville & Banlieue.
Selon le bilan dressé en 2020 par l'institut de recherche Idheal, les HLM sont "de plus en plus mélangés aux autres logements" et "mieux répartis sur le territoire" depuis la mise en oeuvre de la loi, mais "les enclaves de pauvreté sont plus nombreuses et plus pauvres".