"Je n'ai pas osé regarder en bas, c'est trop haut !". Perchée à 25 mètres au dessus du sol, Maïté Hall, grimpeuse amateure, n'en mène pas large à l'issue de son ascension. "J'avais déjà le vertige à 10 mètres, alors j'ai attendu d'être de nouveau en bas pour regarder ailleurs que sur le mur".
Revenue sur la terre ferme, la trentenaire est impatiente de rééditer sa performance, cette fois-ci sur le mur extérieur, qui culmine à la même hauteur. "Cette prise jaune tout en haut, je rêve de l'attraper", sourit-elle. "C'est grisant. Et puis dehors, il y a la vue incroyable sur Mulhouse et la région, on voit les Vosges et la Forêt noire. Moi aussi je veux voir ça, que ce ne soit pas seulement les autres qui m'en parlent".
Installé "Rue des brodeuses", le "Climbing Mulhouse Center" (CMC) est posé au pied d'une immense cheminée industrielle, vestige de DMC. Ce sigle, abréviation de Dollfus-Mieg et Compagnie, désigne l'entreprise de tissus imprimés fondée en 1746, et qui a employé jusqu'à 30.000 salariés à son apogée.
Mais le déclin industriel est passé par là, et la compagnie, qui emploie aujourd'hui moins de 500 personnes, a laissé vacants des dizaines de bâtiments en brique rouge sur plusieurs hectares, véritable "cité interdite" abandonnée plusieurs années jusqu'à l'arrivée du collectif d'artistes Motoco en 2012.
"Petit New York"
"Quand l'architecte m'a montré ce site, j'en suis tombé amoureux", explique Bruce Coll, porteur du projet et patron de la nouvelle salle d'escalade. "Je travaille dans l'industrie", complète ce manager de 59 ans, "donc ça m'a tout de suite parlé de repeupler une friche et de venir ici".
Ce "passionné de sport et de nature" a tracé son sillon, indifférent aux appels du pied des sociétés d'équipements sportifs, qui lui proposaient des installations comparables à ce qui se fait ailleurs.
"De toute ma vie, je ne vais faire qu'une seule salle d'escalade, alors je voulais qu'elle soit originale", confie-t-il. Avec l'architecte Pierre Lynde, "un ami du lycée", ils ont donc conçu un bâtiment qui s'insère parfaitement dans l'esthétique du lieu, malgré sa hauteur.
"Il ne s'impose pas de façon écrasante, au contraire, il a la même forme que les autres shed", ces toits en dents de scie caractéristiques des anciennes usines, souligne Pierre Lynde. "C'est comme si on avait pris une dent qu'on avait étirée, jusqu'à 26 mètres de haut, la hauteur maximale autorisée par le plan local d'urbanisme".
La concrétisation, en août, de ce chantier de 3,3 millions d'euros, soutenu par l'opérateur Citivia et les collectivités locales, est saluée par les usagers. "C'est magnifique", s'enthousiasme Sébastien Henner, père de famille de 45 ans, qui a habité dans le quartier pendant "toute (s)on enfance", et regrettait la destruction de certains édifices. "J'ai toujours appelé ce site le +Petit New York+. La brique de Mulhouse, c'est un vrai patrimoine industriel qui revient à la mode. C'est bien qu'il soit modernisé".
"Un phare allumé"
Avec ses hauts murs offrant 240 voies pour tous les niveaux, mais aussi ses blocs, deux voies de vitesse et des enrouleurs permettant de pratiquer seul en sécurité, les exploitants du CMC espèrent attirer un public familial et passionné. Ils tablent sur une fréquentation de 40.000 personnes par an.
Le site pourrait également accueillir des athlètes de haut-niveau : l'organisation d'une première compétition régionale est à l'étude, et, alors que l'escalade a récemment été ajoutée aux épreuves olympiques, Mulhouse compte bien servir de base arrière aux équipes qui participeront aux Jeux de Paris en 2024.
"Pour nous, ce site d'escalade, c'est un phare allumé" au milieu de l'ancien parc industriel, résume Catherine Rapp, adjointe à l'urbanisme à la mairie de Mulhouse, qui souhaite prolonger la dynamique de reconversion. "Ça va attirer du monde. On a déjà d'autres projets en train de se mettre en place", se réjouit-elle.